mardi 7 octobre 2025

Deuil4

 Le deuil: le comprendre ou continuer d’en souffrir

Ce que l’on conçoit bien s’énonce clairement. Nicolas Boileau (1636-1711)


Notes: voici en quoi consistent les encadrés que j'utilise

pour faciliter votre lecture

Table des matières

Introduction

A - Les définitions du deuil: un embarrassé de richesses

B - Le deuil suite au décès d’une personne

C - D’autres aspects du deuil

D - Voir le deuil autrement

E - Le principe d'homéostasie

F - Les causes du décès

G - Le deuil, plus qu’une émotion

H - Les émotions qui arrivent en grappe

I - Une problématique relationnelle

J - Une affaire d’émotions

K - Gérer ses émotions

L - L’émotion est une interprétation

M - Le chaos émotionnel

N - Émotions et sentiments


Z - Les sources


Introduction

Je m’interroge sur la véritable nature du deuil. La cause ou l’événement-source d’un deuil est la même pour tous, mais son impact varie selon l’endeuillé.e. Pourquoi le décès d’un être cher est-il vécu de façon si différente par chacun.e des endeuillé.es ? 


Je m’interroge sur les rites funéraires universels entourant le décès d’une personne. D’où vient ce besoin et qu’est-ce que ce cérémonial accompli chez l’endeuillé.e?


Je m’interroge sur le deuil qui persiste et qui affecte la vie quotidienne de l’endeuillé.e pendant très longtemps au point de l’empêcher de revenir à une vie dite normale dans un délai raisonnable. 


Je m’interroge sur le processus du deuil qu’on croyait être une suite programmée d’étapes, une conception qui ne fait plus consensus. Si le deuil n’est pas un processus linéaire, comment doit-on le définir ?


Je m’interroge sur la variété d’émotions vécues au cours d’un deuil. Est-ce important de les définir et de les analyser ?


Je m’interroge sur la nécessité pour les intervenant.es de suivre un cadre conceptuel pour développer un plan d’intervention efficace. Une intervention à l’aveuglette peut-elle être nuisible pour l’endeuillé.e ?


Je m’interroge sur la nécessité de faire une distinction entre la perte d’un être vivant et toute autre perte dans une variété de domaines tels que social, financier, amoureux et autres. Plusieurs ne font pas cette distinction.


Je m’interroge sur le besoin au cours des séances d’intervention d’adopter une stratégie simple et pertinente pour réviser un éventail d’émotions et de sentiments vécues par l’endeuillé.e.


A. Les définitions du deuil: un embarrassé de richesses

A.1 Une distinction nette

Il existe une variété de définitions du deuil dans les documents publiés sur Internet ou ailleurs. Certaines ont résisté au temps, ce qui signifie qu’elles restent pertinentes. Ils sont plusieurs à préférer une définition large qui inclut des pertes de diverses natures. En plus du décès d’une personne, ce peut être un divorce, la perte d’un emploi, le décès d’un animal de compagnie, une attente qui ne s’est pas matérialisée, une faillite commerciale et d’autres. 


Dans ce document-ci, la perte porte sur le décès d’une personne et l’endeuillé.e est une personne qui a perdu cet être cher. Ce qui est écrit à propos du deuil peut, à la rigueur, s’appliquer à d’autres pertes. 


Une définition englobante du deuil peut sembler plus appropriée puisque nous subissons de nombreuses pertes autres que celle occasionnée par le décès d’une personne. Il est vrai que toutes les pertes partagent des caractéristiques communes, mais le décès d’une personne est d’une nature tellement différente que je tiens à la traiter comme une entité séparée. C’est désolant de perdre son emploi, mais perdre un être cher est dévastateur et entraîne des conséquences profondes pour l’endeuillé.e.


Pourquoi une définition est-elle si importante en recherche et dans la majorité des sciences ?


A.2 Définition dite englobante du deuil

La définition englobante suivante appartient à Aline Nativel Id Hammou, psychologue clinicienne, et a été publiée dans Le Journal des Femmes de France. Le fait qu’elle regroupe toutes les pertes qui nous affligent au cours de notre vie présente un inconvénient embarrassant lorsqu’il s’agit d’écrire un document sur le deuil. 


Un deuil est "la mise en place d'un processus intrapsychique à la fois comportemental, cognitif et socioculturel face à la perte définitive d'une personne (décès), d'une situation (rupture amoureuse, divorce, emploi...) ou même d'un objet, définit Aline Nativel Id Hammou, psychologue clinicienne. (1) 


A.3 Tout deuil suit une perte

Le deuil est nécessairement une perte, parce qu’il y a un arrêt, une brisure nette dans l’accessibilité à une personne. Par exemple, tu prévoyais décrocher un poste vacant dans l’entreprise pour réaliser que tu t’es fait damer le pion par un.e collègue, un événement qui ne passe pas comme une lettre à la poste. Cependant, la nature de cette perte est incomparable à celle du décès d’une personne qui entraîne de terribles conséquences. Cette perte d’emploi, au contraire d’un décès, est récupérable, corrigible. 


Il est vrai que nous avons l’habitude de lancer à tout vent l’expression suivante pour un bon nombre de nos pertes: J’en ai fait mon deuil….Ça finit par réduire toutes les pertes, incluant le deuil lui-même, à sa plus simple expression. Une définition qui regroupe les pertes de toutes catégories ne convient pas, tout simplement pas.


  1. Le deuil suite au décès d’une personne


B.1 Le deuil est une réaction émotionnelle nécessaire, normale et inévitable

Le deuil existe tout simplement parce que nous sommes dotés d’une mémoire et que les événements ne s’effacent pas à mesure qu’ils se produisent: ils laissent des traces, des cicatrices psychiques qui ne disparaissent pas mais qu’on apprivoise, qu’on intègre tant bien que mal à notre vie quotidienne. Le but du deuil consiste justement à se remettre du choc causé par le décès d’une personne significative. Quiconque souffre d’un deuil sait que, entre le dire et le faire, il y a un désert à traverser…Le deuil est une période de souffrances et aucun être humain n’y échappe.


Puisque le deuil est une réaction émotive suite à un décès, il occasionne un va-et-vient entre la vie quotidienne régulière et des états d’âme. Au début du deuil, on peine à se maintenir la tête hors de l’eau. Avec le temps, il devient moins intense et envahissant. Au fil du temps, le deuil devient comme une photo sur le mur qu’on regarde à volonté sans faire dérailler notre vie quotidienne. Le deuil est toujours vivant, mais silencieux, à peine visible. Et subitement, en réaction à un événement, il sort de l’ombre pour faire des siennes. 

T

Tous ceux qui vous diront "Ne t'en fais pas, avec le temps tu oublieras, tout redeviendra bientôt comme avant" vous mentent. C'est archi-faux, vous n'oublierez jamais, et rien ne sera jamais plus comme avant. Mais la bonne nouvelle, c'est que vous apprendrez à vivre avec. 

Il vaut mieux traiter le deuil comme un vieil ami, un voisin, plutôt que comme un étranger dont il faut s’éloigner. L’être cher n’est plus là, mais c’est tout comme. 


B.2 La confusion entre des soi-disant étapes du deuil 

et des émotions

Puisque le deuil est un processus, un déroulement qui, dans la plupart des cas, montre un changement, une progression, la tentation est forte de proposer une suite d’étapes structurante qui fournit des points de repère aux endeuillé.es et aux intervenant.es. Cependant, un survol de ces structures d’étapes proposées montre qu’un processus à étapes ne correspond pas à la réalité vécue par les endeuillé.es: comment percevoir de l’ordre dans le désordre causé par le décès. Sur ce point, il y a consensus chez les théoricien.nes et les praticien.nes: un processus à étapes ne convient pas. 


Il est vrai que nous avons besoin de repères pour mieux comprendre un phénomène. On a cru bon de définir des étapes au deuil pour réaliser de nos jours qu’il ne s’agit pas d’étapes mais d’une variété d’émotions qui surgissent, disparaissent et remontent à la surface de façon désordonnée à tout moment, sans vraiment laisser de répit à l’endeuillée. On a aussi vite compris qu’il n’y a pas véritablement une succession d’étapes clairement définies même si on aime parler du processus du deuil. Ce qui semble faire consensus, c’est que les émotions perdent de leur intensité avec le temps, du temps qui semble une éternité à vivre. Par ailleurs, de nombreuses émotions vécues lors du deuil sont bien connues et incontournables.

T

Cela fait plus de 4 ans que mon compagnon est décédé et malgré une vie qui se reconstruit tranquillement, je suis souvent submergée 

par un sentiment de colère et d'injustice.

La Dre Elizabeth Kübler-Ross a publié une structure à cinq étapes pour le deuil. Plus tard, elle a expliqué que cette structure n’est pas nécessairement fidèle à ce que vit un.e endeuillé.e. Elle a développé cette structure d’étapes à partir de ses expériences avec des patient.es en phase terminale. Voici son modèle critiqué de nos jours. Nous lui devons tout de même une fière chandelle pour son effort qui a généreusement contribué à l’état actuel de nos connaissances dans ce domaine.​ (2)

Chaque décès produit, semble-t-il, sa propre variété d’émotions et pas nécessairement dans le même ordre, ce qui explique en partie la difficulté à identifier des étapes de progression. Il est donc plus crucial d’identifier les émotions qui meublent le deuil que de préciser dans quel ordre elles surgissent. Cependant, même l’endeuillé.e cherche à savoir de l’intervenant.e à quelle étape il ou elle se trouve quant à son deuil. Il vaut mieux évaluer le progrès en ciblant une émotion à la fois. Si le deuil est un mur de briques, chaque émotion est une brique. 


L’acceptation d’une perte n’existe pas vraiment: il s’agit plutôt d’une tolérance, d’une capacité à vivre avec le deuil sans que la vie quotidienne soit hypothéquée ou paralysée. S’il n’y a pas vraiment d’étapes universelles dans le deuil, il y a au moins un objectif à atteindre: reprendre sa vie qui ne sera plus jamais la même, mais qui pourrait aussi être de qualité supérieure. 

Ce commentaire peut sembler incongru dans le cas d’un deuil: comment la vie peut-elle s’améliorer après un événement aussi dévastateur ? Le deuil sert avant tout à composer avec une tragédie de manière à reprendre une routine de vie accommodante jusqu’à de meilleurs jours. Justement, l’endeuillé.e pourrait fort bien vivre de meilleurs jours plus tard, mais tout dépend de ce qu’on entend par de meilleurs jours.


Le fait que le deuil soit ni plus ni moins qu’un charivarie, un chaos où s’entremêlent émotions, souvenirs, contradictions et crises de toutes sortes démontre pourquoi il est difficile de délimiter des étapes: il faut être perceptif pour voir de l’ordre dans le désordre. Alors, c’est quoi au juste le deuil ? Pourquoi cet événement est si bouleversant ? 


Si, au départ, le centre de gravité du deuil est la personne décédée, peu à peu l’endeuillé.e déplace ses préoccupations sur des conséquences directes du décès sur sa vie quotidienne. Je suis surpris qu’on ait pas vraiment cerné cet aspect du deuil qui, dans la plupart des cas, est envahissant, accaparant et stressant. L’endeuillé.e ne nie pas s’ennuyer de l’être cher décédé, mais avoue être davantage préoccupé.e par sa vie quotidienne qui ne se redresse pas. Pourtant, être écrasé.e de problèmes inattendus et incessants pourrait bien être la raison pour laquelle son deuil persiste avec vigueur.


B.3 Auto-critique d’Elisabeth Kübler-Ross & David Kessler

Depuis que nous avons présenté ces cinq phases du deuil, il y a trente ans, leur définition a évolué, car ces notions ont parfois été mal comprises. Jamais il n’a été question de diviser l’évolution d’un processus complexe en paliers clairement distincts les uns des autres. […] Tout le monde ne passe pas forcément par ces cinq étapes et les réactions ne suivent pas toujours le même ordre. Elisabeth Kübler-Ross & David Kessler (3)


Ce que certains appellent une étape du deuil, il serait plus juste de l'appeler une réaction parmi tant d’autres suivant un événement tragique. Par exemple, le déni est souvent considéré comme la première étape: c’est le refus de croire qu’on soit impliqué dans un événement aussi tragique. À cette occasion, la première question qui nous vient à l’esprit: Pourquoi moi ?


Le déni est une réaction normale de surprise, d’étonnement qui suit toujours un événement inattendu qu’il soit heureux ou malheureux. Cependant, pour certaines personnes, cette réaction peut se prolonger: on met des années à accepter un décès qui a bouleversé notre vie. Est-ce simplement le sort qui attend tout endeuillé.e ?


B.4 Se mettre les yeux dans les trous

Devenir conscient.e de ses émotions vécues durant un deuil est le premier pas vers son acceptation. Même si on est préparé à vivre un deuil, au début du processus on croit être envahi par une armée d’émotions diffuses. C’est l’intensité de l’état émotionnel qui biaise la perception au début du deuil. Pour devenir conscient de nos émotions et de les distinguer l’une de l'autre, il faut du temps, une capacité particulière d’introspection et de l’aide d’autres personnes à l’occasion. C’est la réalité qui frappe de plein fouet au point qu’on n’arrive pas à croire ce qui nous arrive: on dirait un cauchemar. En fait, c’est pire qu’un cauchemar, car c’est la réalité. 


L’endeuillé.e doit devenir conscient.e de ses émotions diffuses: il importe de les identifier, les définir, les étiqueter, les cerner, bref les distinguer entre elles. Il n’y a pas qu’une seule émotion universelle ressentie à la suite d’un décès. Tout dépend de la nature de la relation avec la personne décédée. Cerner les émotions qui bouleversent à la suite à un deuil n’est pas une sinécure: ce processus peut persister pendant des années, voire le reste de notre vie.

 

Une tierce personne bien formée peut accentuer ce processus de conscientisation chez l’endeuillé.e par le biais de séances d’écoute et d’interactions. Cette tierce personne est d’autant plus efficace que l'endeuillé.e. l’en croit capable. Autrement dit, un.e ami.e peut généreusement aider l’endeuillé.e. Vivre un deuil seul, en secret, risque de s’envenimer et de contaminer la vie courante. Parfois, une bonne oreille attentive peut suffire. Les ami.es s’entraident sans souvent s’en rendre compte, simplement en ayant une oreille attentive.


Vivre un deuil ne consiste pas à suivre des étapes distinctes et progressives qui arrivent l’une après l’autre qu’on le veuille ou non, comme si on était entraîné par un courant sans pouvoir réagir. Le deuil provoque une vie intérieure dite de montagnes russes, un aller-retour entre des hauts et des bas, des émotions qu’on ignorait mais qui surgissent de tous bords et de tous côtés. Et que dire des idées bizarres qui nous passent par la tête ! 


Le deuil est un processus fondamentalement émotionnel. La personne endeuillée vit des émotions d’une rare intensité. La peur, la culpabilité, la colère, l’irritation, la révolte, le vécu dépressif… Ces émotions la prennent d’assaut avec force pendant des semaines, des mois, des années. Avec une durée, une puissance et un rythme uniques pour chacun. (28)


Les émotions associées au deuil ne disparaissent pas vraiment: elles diminuent plutôt en intensité, deviennent moins dérangeantes, et c’est ce qu’il faut viser en bout de ligne sans savoir où se trouve justement le bout de la ligne. En fait, il n’y a pas de bout de ligne: le deuil ne meurt pas, il ne fait que se calmer pour devenir un souvenir éternellement présent comme un voisin désagréable.


Au début du deuil, il est crucial d’aider l’endeuillé.e à identifier la variété d’émotions qu’il ou qu’elle vit surtout pour apprendre qu’elles sont normales dans de telles circonstances. Ce faisant, l’individu découvre quelles sont ces émotions bouleversantes qui ne le lâcheront pas. Sans cette prise de conscience, l’intensité de son deuil peut perdurer au point de nuire à plusieurs aspects de sa santé et de sa vie. 


Pour l’endeuillé.e, il est incongru et gênant de ressentir de la colère tout au long de ce processus, même de la colère envers l’être décédé: la réaction est de garder le silence sur cette émotion. Un conjoint qui perd sa conjointe n’ose pas dire tout haut qu’elle a mis sa vie sans dessus dessous.


L’endeuillé.e réalise peu à peu que le décès lui a fait perdre un être significatif dans sa vie, mais aussi a bouleversé sa vie au point que sa nouvelle situation de vie ajoute aux difficultés du deuil comme tel. L’endeuillé.e s'ennuie de la personne décédée, mais tout autant des conditions de vie d’avant ce décès. Donc, l’attitude envers cet être tant aimé change parce que la vie de l’endeuillé.e s’accommode maintenant de problèmes imprévus de toutes sortes. Et là, s’installe un sentiment de culpabilité, de honte, d’ennui en même temps qu’on en veut à cette personne disparue. Il suffit d’admettre qu’on vit une telle contradiction pour s’en affranchir.


Le deuil est la peine d’avoir perdu un être cher. Le deuil ne s’arrête pas là: il reprend souvent des forces en créant par la suite des conditions de vie précaires, imprévues et coriaces à supporter. Est-ce que l’endeuillée pleure parce qu’il ou elle s'ennuie de l'être cher disparu ou parce que le ciel lui tombe sur la tête depuis cet événement ? L'ennui a été remplacé par des inquiétudes qui l'empêchent littéralement de dormir. Et ce n’est pas la seule émotion qui vient s’ajouter au chagrin et à l’ennui.


Certain.es endeuillé.es apprennent à vivre avec un deuil plus aisément que d’autres pour diverses raisons. Chacun.e vit un deuil à sa façon propre: ce qui convient à l’un.e ne convient sûrement pas à l’autre. L’état des émotions varie sans cesse, ce qui rend la comparaison entre des endeuillé.es inutile. La façon de vivre les émotions durant le deuil est intrinsèquement liée à l’histoire de l’endeuillé.e, son caractère, sa relation avec la personne décédée, sa situation générale après le décès, et de multiples autres facteurs contribuants. Ça ne signifie pas pour autant que participer à des séances de thérapie de groupe portant sur le deuil est inutile: chacun.e y trouve son compte malgré tout.

C

Un deuil qui perdure signifie-t-il qu’on est à court d’issues ou que des émotions sous-jacentes n'ont pas été identifiées ?


B.5 Le deuil, c’est la réalité qui nous rattrape

Si le deuil est si difficile à vivre, il se peut qu’on sache dans notre for intérieur qu’on fait fasse à un obstacle incontournable qu’on devra finir par l’accepter tel quel, mais auquel on offre de la résistance. Chacun vit son deuil à sa façon, et résister vigoureusement en est une parmi d’autres. Si c’est un premier deuil sévère, il se peut qu’il perdure parce qu’on ne pleure pas seulement le sort de l’être décédé, mais aussi son propre sort d’être mortel, et on n’y échappera pas.  


Le deuil est une réaction à ce constat que toute forme de vie a une fin, un dénouement tragique qu’on repousse, qu’on pellette par en-avant. La vie est ainsi faite qu’on expérimente le décès des autres avant le nôtre, sans compter les innombrables pertes d’autres types que l’on subit tout au long de notre vie. Les humains savent ce qui les attend avec l’âge: le compte à rebours débute à la naissance. Mais, il reste que le savoir et le vivre sont des entités différentes : l’un est un concept et l’autre du vécu, et c’est le vécu qui est problématique. 

 

B.6 Le thermomètre du deuil

Toutes les émotions vécues lors d’un deuil ne sont pas d’égales importances, d’égales intensités. Au début du deuil surtout, on est déstabilisé même par des réactions physiologiques inattendues et insoupçonnées: on dirait une montée de fièvre. On craint de perdre les pédales tellement c’est bouleversant.


Nos connaissances en physique nous font croire qu’une chaleur qui se dégage indique que de la matière est en train d’être consumée. Le deuil produit, pour ainsi dire, des réactions émotives qui se répercutent sur l’organisme comme s’il s’agissait d’une fièvre ou de tout autre dérèglement du corps. Lorsqu’on vit de telles réactions, c’est sûrement lorsque le deuil est récent: des réactions aussi intenses finiront pas s'évanouir, mais le souvenir de l’événement restera et pourra même réactiver les réactions physiologiques. 


Un deuil qui perdure signifie que l’endeuillé.e vit des émotions diffuses qui nécessitent un effort d’analyse pour dresser une hiérarchie d’importance de ses émotions afin de découvrir ce qui alimente ses émotions. Il ou elle doit être capable de préciser pourquoi il ou elle ressent de la colère. L’incertitude crée du stress en tout temps.


Je ne serais pas surpris d’entendre une mère dire: ce décès m’a mise carrément dans la merde! Si elle est capable de préciser cette émotion, elle progresse dans son deuil. Si elle ne fait encore que pleurer, elle fait du sur-place. Une intervention peut écourter la période de tristesse, de frustration, de découragement et de colère. Il importe avant tout de diminuer l’intensité des émotions en sachant qu’il ne s’agit pas de faire oublier le décès: simplement parler de son chagrin abaisse l’intensité. Encore faut-il s’assurer que ce qui alimente le chagrin n’est pas maintenant la situation précaire dans laquelle l’endeuillé.e se retrouve.  


B.7 Un deuil qui n’en finit plus de finir

Le deuil pourrait-il perdurer à cause de l’ignorance de certaines réalités de la vie qu’on repousse, mais qu’on pellette par en-avant avec de plus en plus de difficultés ? Le deuil pourrait-il être un aveu qu’on n’arrive plus à composer avec une réalité incontournable ? Le deuil pourrait-il durer longtemps tout simplement parce qu’il provoque des émotions cruelles, injustes, révoltantes, choquantes, horribles et quoi d’autres ? Il y a des endeuillé.es qui ont des souffrances quasi inhumaines, comme dans le cas de parents qui perdent un enfant. Ces souffrances coriaces sont incontournables et laissent des cicatrices profondes. Les circonstances du décès compliquent souvent le deuil par la suite.


Un deuil est plus sévère lorsque les conditions de vie par la suite rendent la vie quotidienne ardue, pénible et lourde: c’est évident. Un endeuillé doit en arriver à un degré de franchise par rapport à ce qu’il ressent: pleure-t-il d’avoir perdu une conjointe qu’il appréciait ou pleure-t-il les conditions de vie actuelles qu’il supporte mal ? Une fois de plus, l’endeuillé.e doit préciser ses émotions même si elles paraissent incongrues ou inacceptables pour la circonstance. 


Pourquoi se sent-on coupable d’avouer que nos émotions changent tout au long du deuil ? Est-ce à cause des attentes des autres ? Il n’y a pas si longtemps, je me souviens que l’Église exigeait qu’une veuve porte du noir une année après le décès de son époux. L’influence des attentes de la société n’est pas à sous-estimer: bien paraître implique qu’on doit se cacher pour pleurer.


Être aux prises avec un deuil persistant, c’est de mettre du temps pour accepter une réalité incontournable parce qu’il s’agit d’un décès, d’une absence définitive. La capacité d’accepter des réalités de la vie varie d’un individu à l’autre. Mettre du temps pour accepter une réalité n’est pas une faiblesse: il vaut mieux croire qu’un deuil est un événement unique qui ne déprécie aucunement les capacités naturelles de l’endeuillé.e. Chacun.e y va de sa personnalité et non de ses capacités intellectuelles. Certes, le vécu de l’endeuillé.e fait une différence notable dans la perception du décès d’un proche et de sa façon de vivre son deuil. 


Le deuil n’a rien d’un processus qui met la vie de l’endeuillé.e sur le pilote automatique et qui se dissipe après avoir passé à travers une suite d’étapes prédéterminées. Le deuil est déclenché par un événement horrible, le décès d’un être cher. La durée et l’intensité de ce deuil dépendent de l’endeuillé.e. Même si on se croit préparé à un deuil, ce n’est que lorsqu’il se présente qu’on découvre sa vraie nature. Il n’est pas certain qu’on puisse se préparer à vivre un deuil tellement il est envahissant et bouleversant. C’est tout comme une pluie de nouvelles émotions qui s’abat sous un soleil radieux. 

Ce n’est pas toujours une bonne idée de banaliser nos émotions associées à des événements qu’on cherche à oublier: elles reviendront nous hanter tôt ou tard. Les émotions ne se gèrent pas elles-mêmes. Pire, croire que des émotions entassées dans le placard vont finir par ne plus nous incommoder, c’est une erreur qui a un prix. 


Faites l’expérience de parler à une personne de confiance d’un deuil persistant qui vous dérange. Essayez de voir ensuite quel a été le résultat de votre interaction avec cette personne. En psychologie clinique, on enseigne que les barmans et les barmaids sont aussi efficaces que les psychologues…..en tout cas plus accessibles!  


  1.  Le deuil vu sous divers angles

C.1 La situation après coup

L’endeuillé.e se retrouve dans une situation qu’il devra gérer en même temps que son deuil. On le sait, mener les deux de front finit par multiplier les difficultés. Certes, l’endeuillé.e pleure l'être cher qu’il a perdu, mais, peu à peu, il pleure aussi sur la situation dans laquelle il se retrouve. La perte d’un conjoint crée une situation problématique qui risque de perdurer si ce décès déséquilibre le budget familial et le travail de l’endeuillé.e qui se voit sur une pente glissante. Dans bien des cas, l’endeuillé.e ne voit aucune porte de sortie et se croit dans un labyrinthe tellement les difficultés s’accumulent. Un deuil ne se limite pas à un événement-choc: il en rajoute. 

 

Certes, les parents qui ont perdu un enfant doivent composer avec une profonde tristesse, un impact qui dévaste leur équilibre émotif plus que leur vie courante ou leur budget familial. Le décès d’un.e conjoint.e a un impact sur d’autres aspects de la vie de sa moitié, démontrant clairement que chaque deuil est différent des autres parce qu’il dépend des conditions de vie des personnes significatives après coup.


Le deuil est une problématique relationnelle, un événement qui coupe un lien affectif fort et apprécié. Ce qui empire le deuil, c’est que l’endeuillé.e voit sa résistance faiblir et être écrasée par le poids du découragement.


C.2 L’ambivalence: les émotions à double tranchant

S’il y a une notion importante dans ce document sur le deuil, c’est bien l’ambivalence, une caractéristique des émotions qui ne reflète pas une pathologie mais une psychologie tout à fait normale et quasi-universelle. On ressent et on exprime des émotions et des opinions souvent contraires envers le même objet ou la même situation. Il ne faut pas s’étonner que l’ambivalence existe avec force au cours du deuil. Vous pleurez le décès d’une sœur tout en soulignant des conflits que vous avez vécus avec elle: le deuil n’efface pas le passé, il l’amplifie plutôt.


L'endeuillé.e passe par une panoplie d’émotions et elles comportent toutes deux pôles: positif et négatif. L’endeuillé.e se dit parfois découragé.e et encouragé.e peu après; combatif.ve et résigné.e; désespéré.e et optimiste, et ce pratiquement d’un moment à l’autre ou dans la même phrase. Pour chaque émotion dont l’endeuillé.e se plaint, il ou elle met parfois peu de temps à soutenir le contraire. 


Ce va-et-vient entre deux pôles pourrait bien être la condition sine qua non d’atténuer son deuil et ses effets: on est conscient du mal causé, mais on espère bientôt s’en remettre. Lors d’un deuil, reconnaître nos ambivalences serait-il la clé pour apprivoiser nos émotions et les empêcher de causer davantage de dommages ? Le deuil n’est pas l’occasion d’épurer nos émotions pour se donner bonne conscience.


Suis-je en train de prétendre que même lors d’un deuil nous vivons non seulement avec des opinions contradictoires mais aussi des émotions contradictoires ? En temps normal, nous exprimons sans trop le réaliser des opinions contradictoires en parlant de sport, de culture ou de politique. On s'oppose à la pollution de l’air, mais on préfère les voitures à essence. Nous ne sommes pas des robots programmés en fonction d’une logique implacable, mais des êtres qui suivent tellement de principes simultanés qu’on se mêle dans notre tricotage sans que ça crée des tensions internes. Nous sommes ainsi faits, et puis après !!! 


Le texte suivant montre que cette ambivalence dans nos émotions a été identifiée par d’autres…..depuis que les humains ont appris à écrire :

L’ambivalence, cette dualité émotionnelle parfois déroutante, est une part essentielle et universelle de l’expérience humaine. Elle se manifeste souvent dans nos sentiments contradictoires, que ce soit à petite échelle, comme hésiter entre deux choix de plats au restaurant, ou à des niveaux beaucoup plus profonds, lorsque l’on navigue entre l’amour et la rancune envers un même individu. Cette coexistence de pensées et d’émotions opposées perturbe parfois notre tranquillité intérieure, mais elle porte également en elle une richesse insoupçonnée, une invite à la réflexion personnelle et à la compréhension nuancée de soi et des autres. Plonger dans l’ambivalence, c’est plonger au cœur de notre humanité psychique, où règnent simultanément lumière et ombre. (4)


Dans le même document, on lit aussi…

…l’ambivalence est une composante essentielle, non seulement d’un fonctionnement mental sain, mais aussi d’une santé émotionnelle riche et complexe.


Ou encore….

…l’ambivalence s’exprime dans les émotions, les relations, les opinions sociales ou politiques, et plus largement dans les conflits intérieurs. Par exemple, dans une relation amoureuse, il est fréquent d’évoquer deux sentiments opposés : un amour sincère mêlé à une frustration ou une colère. Cette inhalation d’émotions paradoxales peut générer des tensions internes ou des messages ambivalents envers l’autre.


Ce n’est pas la trouvaille du siècle qu’on vit de l’ambivalence durant un deuil davantage qu’en temps normal: la raison est évidente. Le deuil crée des conditions de vie diamétralement opposées à celles d’avant le décès. Même les ambivalences d’avant le décès sont augmentées, sont plus sévères. Nous manifestons des ambivalences envers les autres et une multitude d’aspects de notre vie en temps normal. En temps de deuil, puisque le décès d’un.e proche affecte notre vie de manière inattendue, on développe des sentiments de frustration du jour au lendemain. On subit les contrecoups du décès d’une personne qu’on aimait, mais qui vient de nous mettre dans une situation peu enviable à divers égards. Que faire ?


D’abord, devenir conscient.e de ce changement dans nos perceptions. Ensuite, les exprimer. Refouler ces sentiments ne fait qu’empirer la situation de détresse. En réalité, l’effet bénéfique pourrait bien être produit par le fait de se sentir compris.e et accepté.e en exprimant cette ambivalence qui nous ronge. Comment une stratégie aussi simple peut-elle être efficace ? C’est la base de toute psychothérapie: reconnaître ses émotions et les exprimer.


Durant le deuil, puisque les conditions de vie changent de façon draconienne, nos émotions changent elles aussi au point de ne plus savoir ce à quoi nous croyons vraiment. On se rend bien compte qu’on s’ennuie de l’être cher décédé, mais on est en colère contre lui du fait qu’il nous a causé un chapelet de problèmes indésirables qui empoisonnent maintenant notre vie. Que faut-il en penser ? Vous devriez penser que vous êtes un être humain tout à fait normal: vanter et tempêter contre la même personne.


C.3 Les émotions élastiques: 

peut-on étirer des émotions comme du caoutchouc ?

Il y a des émotions qui s’étalent sur une longue période comme la tristesse, le découragement, la rancune, la honte, le bonheur etc. Même si l’endeuillé.e a repris sa vie quotidienne et semble résilient.e, il ou elle traîne à son pied le poids d’émotions qui depuis le décès enchevêtrent son état émotif habituel. L’endeuillé.e a beau regarder droit devant, mais ses souvenirs apparaissent dans son rétroviseur. 

Avec le temps, on constate que certaines émotions sont toujours présentes et qu’elles vont nous coller à la peau jusqu’à la fin de nos jours, en se contentant d’espérer qu’elles vont se faire moins dérangeantes. Tout dépend, je crois, du temps qu’on met à se remettre d’un deuil et de reprendre une vie plus ou moins régulière: tout dépend surtout de la situation qui prévaut après le décès de l’être cher. La vie n’est plus la même après un deuil sévère: certaines émotions resteront intactes à part une baisse de leur intensité. Oui, il y a des deuils plus sévères que d’autres. 


C.4 Les conséquences du deuil: 

une réaction en chaîne

Le deuil est une réaction à un décès. Mais, le deuil entraîne à son tour des conséquences qui ajoutent des tracas et des problématiques insoupçonnées. Les intervenant.es du deuil doivent aider l’endeuillé.e à faire la part des choses. L’endeuillé.e doit remettre de l’ordre dans ses émotions comme on replace les pièces d’un casse-tête, l’une après l’autre en gardant en tête le but final, celui de se remettre à vivre et de souffrir moins.


L’endeuillé.e n’a pas des bouffées de chaleur, mais des bouffées de colère à cause de ses moyens financiers diminués, ses nuits blanches et sa solitude, entre autres. Si le décès qui entraîne le deuil est traumatisant, d’autres conséquences dérangeantes ne tardent pas à s’y ajouter. 


C.5 La tentation de la fuite en avant

Face à la souffrance, certains sont tentés de s’étourdir dans un trop-plein d’activités. Pour éviter de penser à l’être aimé. Parce qu’il y a la peur d’être submergé de douleur, parce que les mots s’embrouillent, ou font tout simplement défaut. Cette fuite en avant permet de différer la douleur, mais il serait naïf de penser qu’elle l’annulera ou la fera disparaître. (5)


Comme une blessure, le deuil laisse place à une cicatrice permanente. On apprend à vivre avec un deuil lorsque notre vie se normalise un temps soit peu: il reste en vie dans notre mémoire sans nous empêcher d’avancer, de vivre une vie régulière. 


Se remémorer et parler du décès des années plus tard ne signifie pas que le deuil affecte notre vie actuelle. Le décès ne s’oublie pas, il fait partie intégrante de ce que nous sommes devenus. Un rapide survol de notre vie nous fait réaliser que nous traînons dans nos valises des deuils et des pertes de toutes sortes. Est-ce possible que notre vie sur Terre consiste à survivre à une suite de situations aussi heureuses que malheureuses auxquelles personne n’échappe ?


En réaction à un décès, c’est normal d’avoir des idées de toutes sortes pour compenser cette perte. En ces temps, il est prudent d’en parler à des amis fiables afin d’éviter des erreurs coûteuses et inutiles. Sur le champ, ces idées nous semblent ingénieuses, cependant: on croit avoir trouvé le moyen pour relancer notre vie. Comment peut-on arrêter la peine de la perte d’un proche par un safari en Afrique ou en remodelant sa cuisine ? À tout le moins, ça indique un effort pour s’en sortir et refaire sa vie. Mais,les idées impulsives ne sont pas toujours efficaces.


C.6 Le deuil sous-entend une perte irrécupérable

La douleur psychique se manifeste de diverses façons pour lesquelles nous avons des mots pour décrire chacune d’elles: chagrin, peine, colère, angoisse, détresse, tourment, déception etc. Nous parvenons généralement à accoler un mot précis à chacune de nos douleurs qui varient en nature mais aussi en intensité. Peut-on comparer la douleur d’une perte telle que le divorce à la douleur lors d’un deuil ?


Vous avez passé une soirée au casino avec des amis et vous avez perdu gros. Vous y avez laissé votre amour-propre. Vous aurez besoin de ces amis pour vous aider à surmonter cette perte et de quelques mois de réflexion…... Des années plus tard vous serez peut-être en mesure d’admettre que cette mauvaise expérience vous a rendu moins impulsif dans d’autres circonstances: vous avez fait contre mauvaise fortune bon cœur. C’est le propre de l’humain d’apprendre de ses propres erreurs. Mais, le deuil n’est pas à mettre au même niveau qu’une perte au casino.


Vous avez encaissé une perte suite à une autre expérience dont vous n’êtes pas fière. Pire, vous gardez le silence et vous faites l'impossible et l'impensable pour oublier. Votre stratégie finit par produire des effets secondaires qui empoisonnent votre vie. Par exemple, vous avez été victime d’une arnaque au téléphone. Vous ne comprenez pas encore comment vous avez pu croire à une histoire rocambolesque qui vous a fait cracher 2 000$. Vous ne niez pas l’événement: il s’est véritablement produit. Cependant, vous croyez que vous finirez par l’oublier si vous n’en parlez pas: en fait, c’est tout le contraire qu’il faut faire, i.e. en parler à des gens de confiance.



Votre conjoint est décédé dans un accident. Trois ans plus tard, vos amis vous ramassent à la p'tite cuillère. On vous soigne pour dépression et on vous met en arrêt de travail, ce qui ne vous aide en rien: voici pourquoi. Vous alléguez que votre conjoint vous manque, que vous l’aimiez à mourir. De fait, si rien n’est fait vous pourriez en mourir. Est-ce vraiment l’ennui qui vous cause cette perte d’énergie, ces états de découragement sévère ? Se pourrait-il, par exemple, que son départ menace votre sécurité financière, surtout que vos enfants prévoient faire des études universitaires dans un avenir proche ? De qui avez-vous surtout besoin: un.e comptable ? un.e psychologue ? des ami.es compréhensifs ? ou toutes ces options ?


C.7 Le deuil: un oignon à éplucher

Un.e ami.e vous raconte souvent un événement tragique subi. Chaque fois, on dirait qu’il s’agit d’une nouvelle version: il ou elle en rajoute. Ce pourrait bien être la façon de se débarrasser de la charge émotive de cet événement. Vous avez compris que le fait de parler souvent de cet événement démontre que cette personne vit un deuil dont l'intensité diminue progressivement. Si elle en parle souvent, c’est que l’événement continue de générer de l’énergie. 


Le deuil est aussi une marmite qui a besoin d'une soupape, sinon......Un deuil qui n'est pas évacué peut changer carrément la personnalité d'un individu au point que son entourage avoue ne plus le reconnaître. Lorsqu'une personne vous semble ne plus être la même depuis un certain temps, demandez-vous s'il ne s'agit pas d'une perte quelconque que vous ignorez et dont elle n’ose parler.


C.8 Vivre un deuil en catimini, loin des regards

Un.e ami.e coupe la communication avec vous et d’autres après le décès d’un membre de sa famille. Si les chiens se cachent pour guérir d’une attaque violente, des humains adoptent parfois cette stratégie. Une blessure psychique comporte des différences majeures avec une blessure physique, mais un malaise psychique est tout aussi éprouvant qu’une douleur physique.


Il est vrai qu’attendre trop longtemps avant de demander de l’aide peut devenir gênant d’avouer qu’on est rendu au bout du rouleau….. Mais, la nature est ainsi faite: on se rend aux limites et au-delà de nos capacités avant de demander de l’aide pour s’en sortir. Garder le silence sur une profonde peine finira par miner vos énergies et votre endurance: un jour ou l’autre, vous devrez en parler, ce qui pourrait suffire à recharger vos batteries.


  1.  Voir le deuil autrement

D.1 Les manifestations du deuil

Au lieu des étapes du deuil, je préfère m’appuyer sur les manifestations du deuil pour mieux comprendre sa véritable nature, surtout celles décrites par Clémence Coulaty de France. (6)


Sur le plan émotionnel : tristesse profonde, colère, culpabilité, anxiété, soulagement parfois, alternant avec des moments de calme ou même de joie passagère.


Sur le plan physique : fatigue, troubles du sommeil, perte d'appétit, sensations d'oppression thoracique, tensions musculaires, sensibilité accrue aux bruits et aux stimulations.


Sur le plan cognitif : difficulté de concentration, impression d'irréalité, préoccupations concernant la personne disparue, recherche de sens.


Sur le plan comportemental : pleurs, retrait social, agitation ou au contraire ralentissement, recherche ou évitement des souvenirs liés à la personne disparue.


Pour les intervenant.es du deuil, les manifestations s’avèrent plus faciles à identifier et donnent une idée plus juste de l’état général de l’endeuillé.e. Les manifestations peuvent, pour ainsi dire, être mesurées sur une longue période et refléter la progression du deuil. 


Il me semble adéquat de voir le deuil comme un va-et-vient entre des émotions de valeurs différentes selon l’endeuillé.e et en fonction de multitudes de conditions environnantes imprévisibles. On connaît le point de départ du deuil, un peu moins son déroulement et encore moins son état à long terme. Ce n’est pas demain la veille où on sera en mesure de présenter une définition précise et complète du deuil.


Puisqu’il est important pour l’endeuillé.e de devenir conscient de sa vie intérieure tout au long du deuil, en ciblant des comportements spécifiques la communication est facilitée entre l’endeuillé.e et l’intervenant.e : c’est crucial d’en arriver là.


Lors d’un deuil, l’endeuillé.e devient conscient.e d’émotions auxquelles il ou elle n’a pas l’habitude de gérer avec une forte intensité: on pratique souvent le déni, par exemple, mais pas avec entêtement lors d’un deuil.


Plusieurs facteurs entrent en jeu pour prolonger le deuil et augmenter sa difficulté: la personnalité de l’endeuillé.e, la relation avec l’être décédé, le niveau de support de son entourage, la nature de son travail, et autres. Ça fait beaucoup de chats à fouetter pour l’endeuillé.e. 


À mesure que le deuil progresse, si un suivi est fait des manifestations, l’intervention peut être orientée vers les comportements qui représentent un défi plus important pour l’endeuillé.e. Le deuil nous ramène à nous-mêmes, ce qui est déstabilisant. On doit apprendre à vivre d’une manière différente avec soi-même et à vivre avec l’absence d’un être aimé et réconfortant. On doit surtout confronter nos émotions dont certaines sont ambivalentes, donc embarrassantes.

 

D.2 Parler de son deuil suffit-il pour en guérir ?

Si parler de son deuil est bénéfique, sans prendre d’autres dispositions, est-ce que les humains possèdent les ressources nécessaires pour se guérir eux-mêmes ? Dans la plupart des cas, la réponse est oui.


Ce oui en dit long sur la conception du deuil qui sera décrite dans les prochaines pages. Peu à peu, ligne après ligne, vous comprendrez les principes qui sous-tendent cette manière de voir le deuil. Il n’est pas nécessaire de l’absorber d’un seul coup. Un éléphant ne se mange pas d’un seul coup non plus, mais, une bouchée à la fois, oui…


D.3 Comprendre ses émotions

Il est évident qu’il est primordial de voir à mieux comprendre ses émotions au cours d’un deuil: mieux on les connaît, mieux on en sort et avec moins d’écueils. À cet effet, je suggère le site Internet suivant qui offre pour chaque émotion une litanie de suggestions pour mieux les intégrer à votre vie. Ce document appartient à la Victoria Hospice Society de la Colombie-Britannique et est rendu disponible par le gouvernement du Yukon. (7)


Les émotions dont il s’agit sont: le chagrin, le désespoir, la culpabilité, la colère, la peur, le doute et l’anxiété. Certes, il en existe d’autres, mais ces dernières sont les plus courantes, celles qui accompagnent le deuil à partir du début. Cependant, ce ne sont pas les seules, et d’autres pourraient bien être coriaces à identifier et à traiter. En voici quelques-unes.


D.4 Sentiment d’injustice

Des parents qui ont perdu un enfant en bas âge ne peuvent faire autrement que de vivre une panoplie de sentiments dont celui d’injustice. Comment peut-il en être autrement: une famille sans reproches qu’on pénalise et que la mort a ciblé de façon désinvolte, au hasard ? Ce sentiment reste comme un caillou dans le soulier. Si la colère finit par diminuer en intensité, le souvenir reste vivant en permanence. Dans de tels cas, on voit bien que la communauté a aussi la mémoire longue et continue de pleurer l’événement pendant longtemps : un baume que ces parents vont caresser longtemps. 


D.5 La grande déprime

Un deuil ne se termine pas comme un film d’amour. Pour de multiples raisons, des endeuillé.es ne parviennent pas à s’en remettre dans un lapse de temps raisonnable et peinent à vivre le quotidien. Lorsqu’un.e endeuillé.e doit quitter son travail pour tenter le tout pour le tout afin de se remettre sur ses deux pieds, tout doit être mis en œuvre pour venir à sa rescousse. Dans tous ces cas, il est impératif de savoir pourquoi certain.es endeuillé.es atteignent le fond du baril et que rien ne semble leur donner un répit. 


Le travail d’intervention est crucial dans ce cas: vivre un tel deuil seul comporte des risques qu’il faut éviter. Cette personne doit comprendre et identifier les frustrations précises qu’elle n’accepte pas. La mort est un concept et un événement qu’on est en droit de refuser et dont on souhaite se soustraire, mais personne n’y est jamais parvenu: personne! Il se pourrait que ces personnes n’ont pas vraiment eu la chance d’avoir une oreille attentive pour évacuer leurs sentiments au début du deuil. Un réseau d’ami.es est très efficace à l’occasion d’événements comme un deuil et pas seulement lors de festivités. On peut toujours compter sur eux, car la plupart a déjà vécu un deuil: personne n’y échappe un jour ou l’autre. L’endeuillé.e qui ne se remet pas d’un deuil a besoin d’une intervention qui l’entraîne dans les profondeurs de ses chagrins. En thérapie, l’objectif fondamental consiste à chercher la raison d’être des émotions.


D.6 Une relation tumultueuse avec la personne décédée

Chacun vit son deuil à sa manière, une manière qui peut être choquante aux yeux de certains. Le décès n’efface pas une longue histoire de relations avec l’entourage. Vous étiez souvent à couteaux tirés avec cette personne décédée ? Vous mettrez du temps à faire la part des choses et à lui pardonner bien des peines qu’elle vous a causées. En général, les humains sont conséquents avec eux-mêmes d’un événement à l’autre. Le témoignage suivant en fait foi:


D.7 Une perte relationnelle: cé quoi ça ?

Les émotions vont prendre d’assaut la personne en deuil pendant des semaines, des mois, des années. Avec des intensités, des durées et des périodicités variables. Sous forme de vagues terriblement puissantes qui alterneront avec des moments de répit. (8)


Être en relation intime et profonde avec d’autres personnes lorsque nous vivons un deuil ou une perte importante est une façon incroyablement puissante de survivre à cet événement malgré le mal et le chagrin. 


Comment se fait-il qu’on ne vive pas un deuil en lisant des nécrologies, mais qu’on pleure un arbre dans sa cour qu’il a fallu abattre. Parions que cet arbre vous servait de parasol durant les canicules. Vous avez donc développé une relation gratifiante avec cet arbre: c’est une perte pour vous, sans être un deuil, cependant.


Lors d’un décès, vous perdez une personne, mais aussi une relation. En décédant, cette personne emporte avec elle son vécu avec vous comme si elle vidait votre mémoire commune, vos bons souvenirs comme les mauvais.


S’il y a une relation établie avec une personne ou une chose, il y a donc des émotions qui se sont développées pour tisser des liens profitables. Notre mémoire est capable de déclencher un avalanche d’émotions suite à la brisure subite d’une relation, surtout si elle est perçue comme permanente et qu’elle est bien ancrée dans notre quotidien. Une relation, ce n’est pas une chose ou un objet, mais davantage important et engageant. C’est crucial pour les intervenant.es de comprendre qu’un deuil qui se prolonge peut être dû au fait que l'endeuillé.e pleure une relation fructueuse en plus de la personne aimée.  


C’est le propre des êtres vivants de créer des relations, de les maintenir et, par conséquent, de souffrir de leur perte. Votre voisin s’est procuré un chien qui jappe à vous casser les oreilles et à vous empêcher de profiter de votre arrière-cour comme d’habitude. En plus, ce désagrément s’envenime au point de créer un froid avec votre voisin, une relation qui se brise. Sans qu’un décès soit impliqué, cet exemple montre que la perte d’une relation entraîne des conséquences fâcheuses qui affectent votre mode de vie.


D.8 Le deuil est un événement strictement personnel. Vraiment ?

Les grands événements vécus par les humains s’accompagnent toujours d’un rituel, de cérémonies publiques, de rassemblements spontanés même si l’événement concerne presque exclusivement une personne comme c’est le cas pour un décès: la communauté arrive en renfort pour un tel événement. Lorsque l’entourage tient à accompagner l’endeuillé.e, c’est que la nature de l’événement l’exige. La communauté a aussi besoin de vivre son deuil même s’il est moins intense que celui des parents et des proches. On voit souvent une communauté entière affectée par le décès d’une personne: visiblement, c’est un geste pour consoler les proches de cette personne.

 

De fait, une communauté peut contribuer à adoucir les souffrances de l’endeuillé.e. Montrer à une personne qu’on comprend sa douleur et qu’elle n’est pas seule à vivre cet événement enclenche un processus de guérison. Le sentiment d’être seul à subir une perte ne fait que l'alourdir et allonger la période de la soi-disant guérison. Un décès produit une émotion qui ne s’évanouit jamais: pourquoi tenter ou souhaiter l’oublier ? Au fond, l’endeuillé.e sait fort bien que la situation est irréversible, mais sa douleur s'adoucit lorsqu’il ou elle sent la sympathie de son entourage. 


E. Le principe d'homéostasie: c’est quoi ça !

Le simple bon sens nous dit que les êtres vivants sont des organismes extrêmement complexes, mais extrêmement organisés au point qu’une multitude de systèmes internes permet de conserver un équilibre salutaire. Cependant, tout être vivant voit parfois son équilibre menacé et c’est alors que des mécanismes de défense se mettent en branle pour rétablir la stabilité. Les organismes vivants survivent à long terme parce qu’ils sont doués de systèmes physiologiques en équilibre: c’est l’homéostasie, un concept qu’on enseigne dans un cours de biologie élémentaire.

 

Ce n’est pas d’hier qu’on croit qu’il existe un équilibre psychique au même titre qu’un équilibre physiologique. La survie des humains et des autres êtres vivants dépend aussi de leur capacité à mémoriser et à organiser leur pensée de manière à se maintenir en équilibre avec l’environnement. Lorsque des conditions menacent cet équilibre, des mécanismes de défense purement psychique se mettent en branle pour le maintenir. Le deuil est une menace sérieuse à l’intégrité psychique de l’humain, une réaction qui s’impose pour éviter une déstabilisation permanente. L’importance du deuil est fonction de l’importance perçue de la perte.


Lors d’un décès, des personnes concernées subissent souvent un choc tel qu'elles sont déstabilisées. Cette période d'incertitude s’appelle le deuil. Par conséquent, le deuil est un effort par l’individu pour revenir sur sa trajectoire que le décès d’un être cher a fait dévier. C’est la notion centrale de la conception du deuil dans ce document-ci: le deuil est une réaction psychique à un événement qui menace l’homéostasie psychique.


E.1. La définition de l’homéostasie physiologique

Le principe d'homéostasie est connu en biologie. En voici une définition.

Tous les organismes vivants doivent réguler leur environnement interne pour transformer l’énergie et survivre. Le concept d'homéostasie est donc la capacité de maintenir un état interne relativement stable, qui persiste malgré les changements extérieurs.


Le mot « homéostasie » vient des mots grecs stasis (« état, position ») et homoios (« égal, semblable à ») et a été forgé par W. B. Cannon, écrit Jack Baillet, professeur agrégé à la faculté de médecine de Paris, dans l’encyclopédie Universalis (source 1).


Plus on étudie le domaine du deuil, plus on est en droit de croire que l'homéostasie peut expliquer la capacité des humains à maintenir un équilibre psychique malgré un traumatisme comme le décès d'un être cher. Nous sommes capables de moduler notre réaction lors du décès d'une personne de notre entourage en ajustant notre chagrin et les autres émotions dans le but ultime de survivre. 


Alors, comment se fait-il que, dans certains cas, des endeuillé.es peinent à s'en remettre et manifestent une difficulté à rétablir leur équilibre psychique ? 


Le concept d’homéostasie circule depuis longtemps et est vu comme un équilibre entre une multitude de fonctions physiologiques. Les êtres vivants sont fort complexes. Depuis quelques temps à peine, plusieurs croient que les humains survivent en maintenant un équilibre pour chacune de leurs émotions et entre leurs émotions. Cette idée sous-entend que nous sommes au contrôle de nos émotions, même si parfois nous perdons les pédales pour un rien, du moins pour ce qui paraît comme un rien….


Une telle croyance change la manière de comprendre les humains et, surtout, et d’intervenir auprès d’eux lors d’un deuil. Vous êtes fâché.e contre votre voisin.e. Vous le faites de façon contrôlée: dans votre for intérieur, vous savez que vous n’allez pas dépasser une certaine limite de colère, juste assez, pas trop…. Vous saurez lorsqu’il sera temps de vous calmer, de revenir dans votre état d’équilibre habituel. 


Chaque minute de notre vie, nous maintenons un équilibre psychique avec nous-mêmes et avec notre entourage. C’est quand cet équilibre est subitement menacé qu’on se rend compte que l’équilibre existe 24 sur 24. Vous pouvez même vous réveiller au beau milieu de la nuit avec une idée noire qui vous déstabilise: c’est incroyable que notre cerveau fonctionne même lorsqu’on le croit endormi. 


Est-ce tirer par les cheveux que de croire que nous maintenons un équilibre psychique consciemment chaque seconde de notre vie ? Certains croient qu’on le fait inconsciemment: contentons-nous dans ce document-ci de croire que nous sommes à la barre de nos émotions, les deux mains sur le volant.


E.2 J’ai pété les plombs

À moins de circonstances particulières, lorsqu'une de nos émotions s’emballe et qu’on semble en avoir perdu le contrôle, nous le faisons avec notre pleine conscience et volonté. On n’y va pas de main morte au point que des observateurs croient qu’on a perdu les pédales. 


E.3 Les apparences sont trompeuses

Le deuil est une réaction forte, en apparence incontrôlée. Est-ce vraiment le cas ? Ou serait-ce une réaction volontaire, orchestrée et contrôlée ? On pleure parce qu’on veut pleurer; on est déprimé parce qu’on n’a pas fini d’évacuer son chagrin; on passe le message qu’on souffre parce qu’on veut de l’aide, parce qu’on a surtout besoin d’être écouté.e. L’endeuillé.e n’est peut-être pas devenu un être dépassé par les événements, déstabilisé et au bord du précipice. Toutes les manifestations du deuil qui résistent au temps pourraient bien être des signes à peine voilés qu’on a besoin d’aide….I need help here and now!


Pour démontrer la validité et le bien fondé d’une hypothèse ou d’une théorie, on doit creuser le sujet davantage que nous le faisons dans ce document-ci. Mais, l’homéostasie psychique, si elle existe vraiment, sous-entend que nous sommes en tout temps maître de nos émotions. Par conséquent, au cours d’une série de séances avec l’endeuillé.e, on ne doit pas perdre de vue qu’il est un être autonome et qu’il a les ressources nécessaires pour retrouver son équilibre. L’intervenant.e doit être convaincu.e que l’endeuillé.e possède les ressources nécessaires et la capacité de gérer son deuil: dans la plupart des cas, une écoute sincère suffira. 


E.4 Je suis dépassé par les événements

Nous utilisons des expressions pour projeter chez notre entourage notre état émotif. Si je dis que je suis rendu au bout de mon rouleau, ça signifie que je suis désespéré. Si je dis que je suis dépassé par les événements, ça signifie que je me sens impuissant. Si je dis que je suis stressé, ça signifie que je suis inquiet.


Toutes ces expressions ont un lien commun: on a une certaine perception de nos émotions, surtout lorsqu’elles sont intenses, lorsqu’elles menacent notre stabilité. Lors d’un deuil, l’état émotif général augmente en intensité, mais il se peut que nous n’ayons pas une conscience et une lucidité de chacune de ces émotions. Au début du deuil, le chagrin occupe toute la place qu’il va céder peu à peu à d’autres émotions comme la colère, le déni, le désarroi et la culpabilité pour n’en nommer que quelques-unes. Même si on a l’impression que nos émotions sont incontrôlables, nous leur imposons des limites. On se permet de pleurer longtemps et intensément parce qu’on se sent capable de le faire sans que notre santé mentale s'effondre comme un château de cartes. 

C

Le deuil ne tue pas: il fait souffrir à souhaiter en mourir.


E.5 Collectionner les émotions

Si vous avez déjà été philatéliste, vous savez comment collectionner des timbres : un timbre à la fois en vous concentrant sur ceux qui manquent à votre collection. Le travail de l’intervenant.e consiste à identifier et à étiqueter les émotions de l’endeuillé.e qui ignore même certaines émotions. Au fil des interactions, l’endeuillé.e manifeste de moins en moins d’inquiétude envers son état émotif du fait que ses émotions deviennent conscientes, familières et inoffensives. Sans cette prise de conscience, aucun progrès notable n’est possible pour l’endeuillé.e: le flou est stressant, préoccupant et inefficace. Le fait que l’endeuillé.e butine d’une émotion à l’autre ajoute au stress et finit par se perdre dans le brouillard. Moins l’endeuillé.e connaît ses émotions, plus le deuil devient lourd et s’allonge.    


E.6 Écouter avec ses yeux s’il le faut

La première raison pour laquelle l’intervenant.e se doit d’écouter l’endeuillé.e, c’est pour que l’endeuillé.e se compris.e. La deuxième raison, c’est que l’endeuillé.e finira par visiter tous les recoins de son état émotif, de son deuil, si un sentiment de confiance est établi. La troisième raison, c’est que l’intervenant.e devra établir une hiérarchie d’importance des émotions vécues par l’endeuillé.e: certaines émotions peuvent être plus pénibles à vivre que d’autres. Si l’endeuillé.e ramène sur le tapis la même émotion d’une séance à l’autre, il ne faut pas manquer l’occasion pour lui demander d’élaborer. L’endeuillé.e n’a pas fini d’éplucher cette émotion.


E.7  S’éloigner du feu 

Il vous est déjà arrivé sur la plage de faire un feu qui a pris de l’ampleur après quelques minutes. La réaction normale consiste à vous reculer, à vous éloigner à une distance confortable. On cherche alors un équilibre entre le chaud et le froid.


Comment fait-on pour s’éloigner d’émotions intenses ? Ça va pour un feu parce qu’il s’agit de quelque chose de physique. On peut prendre une distance d’une émotion trop dérangeante non pas par une distance physique, mais par une distance temporelle. Il s’agit de mettre en veilleuse une émotion envahissante au point de faire dérailler notre quotidien. Il suffit de déplacer notre attention sur un autre centre d’intérêt, une activité qui nous passionne et qui, à tout coup, réussit à nous distraire totalement. C’est à se demander si, pour se remettre d’un deuil, il ne vaut pas mieux retourner au travail ou se lancer tête première dans un projet plutôt que de ruminer durant des jours sur son divan.


C’est toujours intriguant qu’une émotion forte associée à un événement diminue aussi en intensité chaque fois qu’on relate l’événement, et ce, même en y apportant des changements. On passe notre vie entière à raconter des événements de notre enfance, signe que c’est bénéfique. Pour le deuil, on peut prétendre que c’est thérapeutique. C’est une disposition où l’intervenant.e n’a nullement besoin d’engager son génie, seulement son écoute et sa patience. Le vrai travail, c’est l’endeuillé.e qui s’en charge. 


E.8 Vivre plusieurs émotions à la fois

 Chaque fois que vous prenez l’ascenseur dans un édifice, vous avez le choix d’étages. Vous pouvez vous amuser à vous rendre d’un étage à l’autre. Chaque jour vous allez d’une émotion à l’autre et parfois en l’espace de quelques minutes. En même temps que vous réprimandez votre enfant, vous tenez une conversation téléphonique agréable avec une amie. Votre vie quotidienne est cousue de situations où vous passez d’une émotion à l’autre en moins de deux, et vous le faites sans perdre les pédales, les deux mains sur le volant.


Au cours d’un deuil, les situations ne manquent pas où vous devez faire des acrobaties avec vos émotions. Cependant, les émotions de cette période s’avèrent beaucoup plus saisissantes qu'en temps normal. Ça ne signifie pas que ces émotions sont hors de contrôle. Si ces émotions varient en intensité, il est raisonnable de prétendre qu’on y applique l’intensité désirée et que cette disposition est volontaire.


 Il est vrai que certaines émotions durant le deuil sont tellement intenses et persistantes qu’on pourrait croire qu’elles ont une vie indépendante de notre contrôle. Par exemple, pendant des jours vous n’avez pas envie de voir qui que ce soit et vous n’avez pas envie non plus de discuter de quoi que ce soit: tout le monde vous tape sur les nerfs. Après un moment, vous soupçonnez qu'une force s’est emparé de vous et vous craignez que cette attitude vous tienne en otage en permanence.

 

L’expérience du deuil est une expérience de découverte d’émotions nouvelles, originales, mais pas toutes désirables. Vous êtes tellement gêné.e de ces émotions que vous évitez d’en parler de peur qu’on vous qualifie de brute ou d’écervelé.e. Si vous nourrissez de telles craintes, c’est que vous êtes tout à fait conscient.e de l’état de vos émotions: vous n’avez pas été pris.e en charge par une force maléfique et occulte. 


Vous n’arrivez pas à croire les émotions que vous vivez au cours de votre deuil: il s’agit de la perte d’un être cher et non d’un monstre. Pourtant, vous êtes envahi.e par une avalanche d’émotions qui ont peu à voir avec cette personne. Son décès semble avoir éveillé en vous des émotions dont vous avez honte, qui sont sorties de nulle part et que vous tentez en vain de supprimer. 


E.9 Remettre le compteur à zéro

Le deuil vous donne l’impression que vous êtes en train de mettre à zéro le compteur de votre vie. Ce pourrait bien être le cas. Vous croyez vivre le décès d’un être cher, sans vous douter qu’il s’agit aussi de votre propre décès éventuel. Le sort des humains et de l’humanité toute entière vous frappe de plein fouet. Ce n’est pas une émotion à vivre chaque jour de la vie: il vaut mieux la plupart du temps s’alimenter de rêves, d’illusions et de films d’amour…Le décès d’un être cher vous rapproche du vôtre et de celui de vos autres êtres chers et cette constatation est suffisante pour vider votre réserve d’énergie.


La mort est tellement poignante pour les humains qu’on ne cesse d’inventer des activités, des croyances, des religions pour nous aider à la justifier. La mort est comme un voisin désagréable qu’il vaut mieux tolérer plutôt que d’être sans cesse à couteaux tirés avec lui. Notre réaction lors du décès d’un être cher pourrait bien être une occasion idéale qui se présente pour évacuer nos inquiétudes à ce sujet. On voit bien aussi, par les cérémonies funéraires, que nous sommes conscient.es que la mort concerne tous nos semblables. Ce partage d’émotions et de sympathies aide à vivre un deuil.


Le deuil teste notre capacité à absorber une réalité de la vie, la plus coriace parce qu’elle ne se corrige pas: la mort. Le deuil est aussi une réflexion, un regard absorbant sur une réalité incontournable. Cependant, il ne faut pas croire que notre premier deuil sera le plus bouleversant et que les autres seront moins exigeants. La sévérité d’un deuil dépend surtout du lien entretenu avec la personne décédée. 

 

E.10 Un deuil à retardement

Il arrive qu’un.e endeuillé.e choisisse de vivre un deuil en affichant une attitude de personne forte, en plein contrôle, croyant que ça lui permettra aussi d’escamoter les premières étapes du deuil et d’éviter des souffrances inutiles. Par surcroît, si l’endeuillé.e croit ainsi éviter à sa famille des inquiétudes, c’est une raison en apparence valable. Pour un lapse de temps, ça va. Mais voilà que le chagrin sort du placard. Après que tout l’entourage est retourné à la vie quotidienne, le bruit court que vous êtes en train de pleurer un fleuve.


En général, lorsqu’on remporte la loterie, on saute de joie sur le champ, pas des mois plus tard. Pourquoi retenir nos larmes suite au décès d’une personne chère ? Le deuil s’exprime de façon unique pour chaque endeuillé.e et les variations ne manquent pas.


Dans notre société, certaines émotions sont davantage valorisées que d’autres. Aussi bien dire que le pleurnichage est perçu comme une faiblesse, un comportement indigne d’une personne mature. Pourquoi ne pas plutôt exprimer vos émotions telles que vous les ressentez ? Si vous craignez de vivre librement vos émotions, vous craignez sûrement la réaction de votre entourage. Les attentes des autres sont un puissant motivateur dans de nombreux contextes sociaux, mais elles peuvent aussi être des obstacles à la libre expression des émotions.


Si le deuil est un événement individuel, il est donc imprégné de la personnalité de l’endeuillé.e et non de celle de la personne décédée. Chacun vit un deuil à sa façon, ce qui devrait amener l’endeuillé.e à se connaître davantage au point de réaliser que ce deuil modifie sa personnalité, ses croyances, ses relations avec autrui et sa manière d’aborder la vie quotidienne.


Le deuil produit une métamorphose étonnante qui, sans avoir été planifiée, nous prépare à percevoir la vie générale différente d’avant le décès de l’être cher. Cette transformation est nécessaire pour se préparer à accepter chez les autres des caractéristiques jusque-là inconnues ou incongrues. Si des endeuillé.es s’effondrent après un deuil, d’autres se réinventent pour ainsi dire. Réaliser que nous sommes mortels et que nous épluchons notre temps sur Terre chaque jour qui passe enclenche un désir d’apprécier le reste de sa vie avec une attitude plus réaliste, mais ce n’est pas toujours le cas. Il reste que la majorité des endeuillé.es se remet à vivre après un deuil sans aide professionnelle, simplement avec l’aide d’un entourage sympathique et compréhensif. Cependant, le deuil de plusieurs endeuillé.es aurait pu être écourté en faisant appel plus tôt à un service professionnel.


F. Les causes du décès

Tous les décès ne produisent pas le même impact sur l’entourage: la façon de mourir influence la nature du deuil des proches. La plupart des décès surviennent à la suite d’une maladie qu’on sait incurable: autrement dit, les proches s’attendent à ce décès. Il ne faut pas croire que le décès sera moins douloureux. 


On anticipe aussi un décès lorsqu’une personne atteint un âge avancé, évidemment. La perte n’est pas moins grande pour les endeuillé.es : à tout âge, perdre son père ou sa mère est traumatisant. Ça ne l’est sûrement pas moins même si une personne souhaite qu’on accélère le processus de la mort à cause de souffrances devenues intolérables.


Pour un décès à la suite d’un accident, l’effet de surprise peut laisser croire que ce décès est plus important qu’en d’autres temps. Mais, il se peut bien que d’autres facteurs entrent en jeu pour rendre le deuil plus lourd à porter, comme le bas âge de l’individu décédé. Ou encore. Le deuil est accentué lorsque la personne décédée est une mère ou un père qui laisse derrière une famille. Plusieurs facteurs rendent certains décès difficiles à accepter et rendent le deuil plus éprouvant.


On voit bien que dans le cas d’un décès survenu à la suite d’un processus naturel, l’âge ou la maladie, il est probable que le deuil sera moins déchirant. Alors, est-ce qu’un décès qui s’explique par des causes plus ou moins naturelles offre des conditions à l’endeuillé.e pour mieux vivre son deuil ? Ou, si j’anticipe le décès d’un être cher, mon deuil sera-t-il moins long et moins bouleversant ?


G. Le deuil, plus qu’une émotion

Le deuil ne peut être réduit à une seule émotion telle que la tristesse. En voici les principales raisons. 

  1. Le deuil est un processus qui s’étend dans le temps. 

  2. Au cours du deuil, l’endeuillé.e vit une variété d’émotions et, par surcroît, à différentes intensités. 

  3. Plusieurs de ces émotions sont ambivalentes.

  4. En dépouillant toute émotivité du deuil, il reste un fait irréversible: la mort d’un être cher. Et c’est un événement irréversible.

  5. Les émotions interagissent entre elles pour alourdir le deuil.

  6. Aucune de ces émotions ne peut produire à elle seule l’impact du deuil: le tout est plus grand que la somme des parties. 


G.1 Un bouleversement intérieur

Sans aucun doute, le deuil est synonyme d’émotions. Peu importe si elles sont biaisées, subjectives ou exagérées, elles ne peuvent être jugées de l’extérieur. Mais, elles doivent être comprises de l’intérieur par l’endeuillé.e, c’est la condition sine qua non pour faire progresser le deuil sans en être subjugué. 

 

Ce n’est pas parce que le deuil finit par atteindre chacun de nous qu’on doit le banaliser. Le deuil est surtout sournois, insidieux: il faut s’en méfier dès le départ. Immédiatement après la cérémonie funéraire, les exigences de la vie nous forcent à reprendre notre travail comme si c’était un événement dont l’impact va diminuer avec le temps: avec de la patience, on va s’en remettre. Il faudra plus que le passage du temps  pour s’assurer que le deuil ne cause d’autres dommages plus importants.


Le deuil éveille des émotions dont on connaissait à peine l’existence. C’est tout comme si le voisinage au complet débarquait chez-vous sans avertissement. Cependant, dans le cas d’un deuil, vous savez précisément la raison de la visite surprise…


Le deuil menace l’intégrité, la quiétude intérieure, un peu comme le ferait un tremblement de terre. Tout est remis en question: de l’incertitude naît l’insécurité. On a l’impression de se retrouver face à un orchestre d’émotions qu’on doit diriger à pied levé. 


Toutes ces émotions ne sont pas d’égale intensité. Si le deuil est une parade d’émotions, c’est le chagrin qui bat la marche. Il faut se dépêcher à accueillir cette émotion et s’assurer qu’on sait pourquoi ce décès nous cause plus ou moins de peine: tous les deuils n’entraînent pas un effondrement émotif. Il faut bien jauger ce chagrin et surtout savoir ce qui l’alimente. Qui était vraiment cette personne décédée pour vous ?


Plus le décès est bouleversant, plus le deuil est chaotique. Est-il vraiment chaotique ou simplement plus complexe car on était attaché à cette personne de multiples façons. Comme les liens entre deux personnes sont surtout constitués d’émotions positives et négatives, très tôt dans le processus de deuil on doit démêler ces émotions et en voir d’autres surgir telles que la culpabilité et le regret. C’est la période des ‘j’aurais donc dû…’. La nature de votre relation avec la personne décédée sera déterminante pour votre deuil. Votre manière de vivre le deuil en dira long sur votre manière de vivre avec votre être cher avant son décès. 


C’est surtout le temps de se poser la question suivante: pourquoi est-ce que je me sens coupable vis-à-vis de cette personne ? Pourquoi je m’imagine que cette personne avait des attentes envers moi que je n’ai pu satisfaire ? Le deuil est l’occasion idéale de réviser une relation dans le seul but de l’analyser pour mieux la comprendre. Le résultat final pourrait de faire la paix avec des événements ambigus, voire ambivalents, ceux-là mêmes qui souvent prolongent le deuil. 


G.2 Du chaos naît la confusion

C’est vrai, le deuil est une réaction, mais une réaction hors de contrôle au début. S’il n’y a pas d’étapes au deuil, il y a au moins des phases comme celle de la confusion qui accompagne un chaos, un méli-mélo dans les émotions, un état de stupéfaction. Tout s’entremêle. On met du temps à accepter un fait: le décès d’une personne significative. Les émotions sont tellement intenses et variées durant cette phase qu’on ne peut pas vraiment parler de déni: on est plutôt conscient qu’une réalité dure vient chambouler notre vie. 

 

Les réactions au décès d’un être aimé ne sont pas seulement variées, mais vécues de manière différente par chaque endeuillé.e. Alors, comment expliquer que le deuil, d’une manière ou l’autre, se vit et finit par devenir un souvenir impérissable qui n’empêche pas l’endeuillé.e de continuer sa route ? Je me répète en soutenant que plus on s’éloigne de notre homéostasie psychique, plus on fait des efforts pour le rétablir: face au désordre, on recherche l’ordre


G.2 Un contrôle excessif face à la panique

Certain.es endeuillé.es réagissent au décès en exerçant un contrôle serré sur leurs émotions, en les empêchant de se manifester, croyant qu’elles seront passagères. On ne fait alors que faire monter la pression dans la marmite.


Au début du deuil, l’entourage de l’endeuillé.e constate avec étonnement son calme, sa lucidité et son contrôle de la situation allant même jusqu’à consoler les autres. Une fois seule à la maison, à l’abri des regards, l’endeuillé.e va laisser sortir ses émotions voyant bien que les retenir échappe peu à peu à son contrôle. Et combien d’autres façons existent de vivre un deuil, si bien qu’on ne peut parler d’une façon normale ou universelle de vivre un deuil.

 

Cependant, l’endeuillé.e a avantage de savoir que le deuil est un processus variable et que chaque variation vient avec son mode d’emploi. Une chose est certaine, s’il y a des émotions à vivre lors du deuil, les ignorer ne fait que les retarder. Tôt ou tard, le chagrin va se manifester à sa pleine force. Retenir des larmes ne les assèche pas.  


G.3 Peut-on se préparer à un deuil ?

La majorité des humains vivent des deuils à partir de l’enfance. À l’adolescence, plusieurs ont déjà perdu un grand-père, une tante, un collegue de classe et autres. Pourtant, à un âge avancé, un autre deuil frappe comme une tonne de briques. Même la perte d’un animal de compagnie devient un deuil qui s’éternise.


L’importance du deuil est directement lié à la relation que l’endeuillé.e entretenait avec la personne décédée. Nonobstant l’âge de l’endeuillé.e, l’importance du deuil sera fonction de l’importance de cette relation. Même si l’endeuillée a vécu plusieurs autres deuils sans être aussi dramatiques, sa réaction à la nouvelle du décès d’un être cher ne sera pas adoucie pour autant. Cependant, son expérience pourrait l’aider à vivre un deuil moins pénible. On peut sûrement avancer l’idée que plus on accepte la mort comme faisant partie de la vie, mieux on est outillé pour vivre un deuil. 


On peut guérir d’un deuil plus rapidement en fonction de facteurs tels que la personnalité, l’expérience préalable et la relation affective avec la personne décédée. Mais, un deuil qui se vit péniblement indique souvent qu’il existait une relation affective intense entre la personne décédée et l’endeuillé.e. Tout deuil impliquant des personnes partageant de l’affection intense sur une longue période sera pénible, déchirant et épuisant à vivre. L’endeuillé.e aussi se rendra compte qu’il y a quelque chose en lui ou en elle qui est carrément mort: un fossé s’est creusé sur sa route. L’endeuillé.e devra vivre autrement, mais comment ? Le deuil finit par être monopolisé par les efforts de se doter d’une nouvelle perspective de vie alors qu’on vient à peine de quitter une vie qui semblait éternelle. 


Mais être en deuil ne se résume pas uniquement à subir un ensemble de réactions résultant de la perte. La personne endeuillée doit aussi repenser son identité. (26)


H. Les émotions qui arrivent en grappe

Les émotions vécues au cours d’un deuil sont les mêmes qu’en temps normal. Elles sont plus intenses, cependant. Elles sont aisément repérables par l’entourage. Le chagrin se vit avec intensité au début du deuil, mais il peut aussi durer longtemps. Chaque émotion est distincte, mais au cours du deuil, certaines s’entremêlent comme si elles étaient attachées les unes aux autres. Ces périodes chaotiques font croire à l’endeuillé.e qu’il ou qu’elle a perdu le contrôle sur ses émotions et que cet état est un indice de manque ou de faiblesse de caractère.


Cependant, la manière de réagir au deuil donne une idée de la perception que l’endeuillé.e a de la mort. Si l’endeuillé.e n’arrive pas à accepter le décès d’une personne chère, c’est indispensable d’intervenir afin qu’elle consciente de ses croyances liées à la mort. Certes, un deuil problématique peut simplement représenter un profond attachement entre deux personnes et qu’il faut beaucoup de temps et d’écoute pour diminuer l’intensité du chagrin. Ce n’est pas une déficience que de ressentir du chagrin pendant longtemps : le deuil est surtout fonction de la relation entretenue avec la personne décédée, donc de la subjectivité. L’endeuillé.e sait fort bien qu’il ou qu’elle devra se contenter du souvenir de l'être cher à l’avenir : il y a de quoi pleurer le reste de la vie.


H.1 Une tempête d’idées

Si un décès est surprenant, le deuil, quant à lui, est inquiétant parce qu’il plonge l’endeuillé.e dans une période d’incertitudes à bien des égards. Que va-t-il m’arriver à partir de maintenant ? Cette question ronge l’endeuillé.e pendant longtemps. Il n’est pas étonnant que l’endeuillé.e vit des émotions contradictoires : il y a l’ennuie créée par l’absence de l’autre et la colère d’être laissé.e à soi-même par l’autre. Ce ballotage d’une émotion à l’autre devient inquiétant si l’endeuillé.e ignore que la majorité de ses émotions est liée à un événement et que son équilibre intérieur reviendra peu à peu. Il importe avant tout pour l’endeuillé.e de verbaliser ses inquiétudes à son entourage afin d’éviter qu’elles prennent des proportions problématiques. 


La possibilité de « mettre en mots » la vie du défunt, les souvenirs qui y sont liés, de tisser un récit à propos de son existence, d’accueillir les mots des autres à propos de lui, fait aussi partie des processus à l’œuvre dans l’expérience de deuil. (26)


Lorsqu’une lumière rouge s’allume sur le tableau de bord de votre auto, c’est intriguant et inquiétant. Le deuil, c’est comme si toutes les lumières rouges s’allument d’un seul coup: il y a de quoi s’énerver et perdre les pédales. Le deuil est une réaction appropriée pour l’événement: ce n’est pas anormal de réagir fortement au décès d’une personne significative : mais l’intensité de notre réaction laisse croire qu’on n’est plus en contrôle de notre vie. 


Si un étranger sonne à votre porte, ce n’est rien de préoccupant. Mais, si en ouvrant votre porte, il y a une foule de gens sur votre pelouse, vous restez bouché bée et toutes sortes d’idées émergent avant qu’on vous explique ce qui se passe en réalité. Le deuil produit un effet semblable en faisant surgir des idées de toutes sortes, même ambivalentes, contradictoires, noires, illogiques, alouette. Ça va jusqu’au point d’avoir l’impression de perdre votre identité: vous doutez de tout, même de vous. 


H.2 À la fois une fin et un début

Le deuil est loin d’être un processus passif: c’est une reconstruction de vie. Les propriétaires qui subissent une inondation restent avec des souvenirs et la tâche de remodeler leur maison : il y a une similitude avec le deuil. Il faut caresser l’idée que la maison rénovée pourrait être plus adaptée que l’originale. Qui, au beau milieu d’un deuil, ose courtiser l’idée qu’au bout du compte sa vie future sera une version améliorée de sa vie passée ? Pourtant, ce pourrait bien être le cas.


Le chagrin causé par le deuil provient du fait qu’une fin vient d’être imposée à une relation. En même temps, un processus de reconstruction vient d’être lancé. Si on pleure, c’est qu’on accepte une réalité incontournable. Ce qui serait anormal serait de ne pas réagir au décès d’un être cher. C’est le résultat de ce deuil qui déterminera la dite normalité du processus. Si le deuil reste problématique au point de faire dérailler la vie quotidienne de l’endeuillé.e, des moyens extraordinaires devront être utilisés pour aider l’endeuillé.e. Certain.es endeuillé.es ont besoin de souffrir énormément avant d’accepter d’être accompagné.es pour le reste du processus. 


Même lorsque les humains reçoivent peu d’aide lors d’un deuil, ils finissent par retrouver leur homéostasie d’antan. Les humains possèdent les ressources pour se remettre d’une blessure psychique simplement avec l’encouragement d’un entourage attentif et compréhensif. 


Très tôt au début du deuil, il est crucial que l’endeuillé.e apprenne à distinguer les émotions associées au décès de l’être cher et les émotions causées par sa nouvelle situation de vie. Par exemple, si le conjoint qui est décédé s’occupait seul de la comptabilité de la maisonnée, le conjoint restant se retrouve dans l’embarras, ce qui ajoute au deuil. La situation sociale de l’endeuillé.e finit par s’emparer de toutes les ressources de l’endeuillé.e. Bien des témoignages d’endeuillé.es montrent un désarroi et de l'ambivalence dans leurs émotions envers la personne décédée. Le deuil de ces endeuillé.es n'est qu'une succession de problèmes inattendus et embarrassants. D’ailleurs, un deuil vivable, ça n’existe pas.


Le deuil produit des changements cognitifs auxquels il faut s’attendre pour ne pas envenimer la situation. Des valeurs changent, ainsi que des croyances, des perceptions et des attitudes envers divers aspects de la vie. C’est un peu comme des secousses sismiques après un tremblement de terre : on s’y habitue, semble-t-il, mais on reste craintif parce qu’on anticipe maintenant le pire. 


Les endeuillé.es qui participent à des sessions de groupe sont avantagé.es parce qu’ils constatent que d’autres partagent les mêmes émotions et changements dans leur vie quotidienne. S’isoler avec son deuil comporte le risque de croire qu’on subit un processus idiosyncratique qui frôle l’anormalité. Ce qui se vit au cours du deuil n’est pas inquiétant si on constate que d’autres sont affectés de la même façon. Il y a des émotions quasi universelles ressenties durant le deuil, comme la honte d’être au bout de son rouleau et d’être découragé. 

 

Certaines personnes endeuillées décrivent aussi, des années après la perte, une tristesse qui ne s’estompe pas au fil du temps. (26)


Certes, la perte d’un proche dure jusqu’à la fin de la vie d’une manière ou d’une autre. Certain.es endeuillé.es restent accroché.es à une tristesse, à un chagrin qui les empêche de se refaire une vie. Il y a des raisons qui expliquent cet écrasement, ce refus d’avancer pour vivre de nouvelles expériences : il y a même un certain confort dans son chagrin. Dans un tel cas, il faudra un effort considérable de l’entourage pour convaincre l’endeuillé.e de faire appel à de l’aide professionnelle. Ironiquement, les endeuillé.es qui s’opposent à de l’aide professionnelle sont justement les personnes qui ont besoin de cette aide. 


H.3 Tout est normal jusqu’à ce que…

L’homéostasie psychique est un état émotionnel quasi-neutre. C’est dans cet état que l’on se trouve à longueur de journée. La majorité des émotions sont au neutre : elles sont actives sans être dérangeantes. Vous ne ressentez aucune colère, aucune vengeance, aucune nostalgie et aucune peur tout en étant joyeux, généreux et en vaquant à votre routine habituelle. Vous maintenez cette neutralité parce que vous dépensez ainsi moins d’énergie. Vivre une peur intense durant plusieurs heures épuise vos ressources autant physiques que psychiques. L’homéostasie fonctionne selon un principe de conservation pour maintenir votre organisme au complet dans un état d’équilibre en dépensant le moins d’énergie possible.


Tout comme l’homéostasie physiologique, l’homéostasie psychique ne se ressent pas. Cependant, lors d’une infection par exemple, plusieurs symptômes surgissent parce qu’un nombre important de systèmes physiologiques sont appelés à modifier leur rôle respectif pour ramener l’homéostasie. Au niveau psychique, il pourrait bien en être ainsi : l’alerte est donnée par des émotions qui modifient leur rôle pour conserver un équilibre salutaire.


Lorsqu’une menace physique ou psychique exige une réaction pour rétablir votre homéostasie, des émotions arrivent en renfort. Cette menace peut être de courte durée comme une chute sur le trottoir, une insulte sur un réseau social ou de longue durée comme une fracture ou un deuil.

 

Les réactions à une menace peuvent être nombreuses, instantanées et de diverses durées. Il n’est même pas nécessaire d'être atteint.e par une menace : la peur d’être atteint.e suffit à provoquer un éventail de réactions. Une voiture vous frôle en traversant la rue: vous mettez des heures à vous en remettre. Vos émotions agissent donc sur votre corps. L’inverse est tout aussi possible: un mal de dos persistant vous empêche de vous concentrer et affecte votre productivité. Le corps et l’esprit ne font qu’un et on le constate lorsque notre homéostasie est déstabilisée et que notre attention est monopolisée par une menace. Nos émotions se mettent en branle comme des pompiers appelés à combattre un incendie.  


Sur le plan psychique, le chagrin peut entraîner un repli sur soi, une sensation de vide, une hypersensibilité ou au contraire une anesthésie émotionnelle. Il arrive aussi que la personne endeuillée ressent des symptômes proches de la dépression : perte d’intérêt, désespoir, pensées sombres. (27) 


À n’importe quelle période du deuil, on doit tenter d’identifier les émotions vécues surtout lorsque ces émotions sont intenses. Si un événement ramène des souvenirs de l’être décédé, vous ressentez du chagrin, du regret, de la culpabilité et une certaine colère comme si cette personne vous avait trahi en décédant. Ce sont ces émotions qui alimentent le deuil. En les acceptant, elles perdront de leur énergie, de leur intensité, ce qui est nécessaire pour atténuer les effets du deuil et reprendre contrôle de votre vie quotidienne. 


Traverser un deuil, c’est faire l’expérience de sentiments intenses, parfois contradictoires. Tristesse, colère, culpabilité, soulagement, confusion : toutes ces émotions sont normales. (27)  


À mesure qu’on s’éloigne du décès, l’intensité des émotions diminue. On constate aussi que moins d’émotions surgissent simultanément. La colère qui accompagnait le déni du début s’estompe en même temps que le déni et la culpabilité. En fait, plus on accepte le décès moins on ressent de colère ou de culpabilité: ce sont pour ainsi dire des vases communicants. 


Il existe donc des grappes classiques d’émotions, des sous-ensembles d’émotions qui semblent se tenir par la main comme des copains dans la cour d’école. La progression du deuil dépend de la volonté à se familiariser avec nos émotions et à les apprivoiser. Pour réduire leur intensité lors d’un deuil, il importe de les identifier et de les comprendre. En même temps que nos émotions menacent notre homéostasie, elles servent à nous alerter d’un danger qui nous menace. On pourrait même dire que nos émotions sont les garde-fous de notre équilibre homéostatique. Lorsque l’on continue de pleurer abondamment longtemps après le décès, on doit trouver pourquoi notre niveau de tristesse reste élevé. Est-ce simplement de l’ennui ? Du regret ? De l’isolement social ? De la culpabilité ?


I. Une problématique relationnelle

Le deuil implique au moins deux personnes, ce qui en fait un événement relationnel, mais il y a plus qu’une personne endeuillée lors d’un décès. Faut-il le répéter, l’impact du décès varie selon la relation entretenue avec la personne décédée par les endeuillé.es. Le deuil est une problématique affective et relationnelle. Au décès, tout le monde sait qu’il s’agit d’un événement définitif. Certains prétendent que l’endeuillé.e passe par une période inévitable de déni, de refus de croire qu’une personne est décédée. Au contraire, l’endeuillé.e sait fort bien que le décès est final, irréparable. Le concept de mortalité est bien ancré et bien compris chez les humains. Le deuil débute immédiatement en entendant la nouvelle du décès. Si l’endeuillé.e pleure, c’est qu’il y a mortalité : c’est un aveu qu’il sait ce que signifie un décès. 


Des années plus tard, l’endeuillé.e s’exprime d’une façon qu’on peut croire qu’elle ou qu’il n’est pas encore convaincu.e de ce décès : c’est toujours difficile de se soumettre à cette réalité. En affirmant que tous les endeuillé.es passent par une étape de déni, on sous-entend que les humains mettent du temps à réaliser qu’il y a effectivement eu une mortalité. On sait qu’il y a eu un décès, mais on l’accepte difficilement dû à notre relation avec cette personne. Autrement dit, ce qu’on prétend être du déni ne serait, en définitive, que la difficulté à accepter la mort en général. Espérer se plonger dans une fontaine de jouvence, une illusion, c’est avouer qu’on est conscient de la mort et qu’on refuse de mourir : ce n’est nullement du déni.


I.1 I.D.E.M.

Que signifie I.D.E.M. ? Le deuil concerne les émotions. Il y a quatre (4) aspects à l’émotion qui sont indispensables pour que le deuil progresse vers un retour à l’homéostasie. 

1. Identifier l’émotion

2. Définir l’émotion

3. Expliquer l’émotion

4. Mesurer l’émotion


  1. Identifier l’émotion. 

Nommer l’émotion. S’agit-elle de la colère, de l'amitié, de la vengeance, de la frustration ou autres ? Reconnaître et nommer une émotion agit comme modulateur de cette émotion.


  1. Définir l’émotion

Définir ou décrire l’émotion, ou à tout le moins décrire ses manifestations ou les comportements qu’elle engendre. Ex. isolement social: Je n’ai plus envie de voir personne.


  1. Expliquer l’émotion

C’est le nœud de l’exercice. Il s’agit d’expliquer pourquoi je ressens cette émotion. Je ne comprends pas pourquoi je suis en colère contre ma conjointe qui est décédée.


  1. Mesurer l’émotion

Quelle est l’intensité de cette émotion ? Son influence sur mon deuil ? Même au réveil, je suis déjà épuisé.e : ce n’est plus l’ennui qui me dérange, mais le manque d’énergie pour continuer à prendre soin de mes enfants.


Les quatre (4) aspects d’une émotion qu’on doit cerner

I.D.E.M.

Aspect

Description

Identifier

Nommer l’émotion. S’agit-elle de la colère, de l'amitié, de la vengeance, de la frustration ou autres ? Reconnaître et nommer une émotion agit comme modulateur de cette émotion.

Définir

Définir ou décrire l’émotion, ou à tout le moins décrire ses manifestations ou les comportements qu’elle engendre. Ex. isolement social: Je n’ai plus envie de voir personne.

Expliquer

C’est le nœud de l’exercice. Il s’agit d’expliquer pourquoi je ressens cette émotion. Je ne comprends pas pourquoi je suis en colère contre ma conjointe qui est décédée.

Mesurer

Quelle est l’intensité de cette émotion ? Son influence sur mon deuil ? Même au réveil, je suis déjà épuisé.e : ce n’est plus l’ennui qui me dérange, mais le manque d’énergie pour continuer à prendre soin de mes enfants.


I.2 Les facteurs atténuants et aggravants du deuil

Le deuil diffère d’un individu à l’autre pour une multitude de facteurs dits aggravants ou atténuants. Puisqu’il s’agit d’un phénomène cognitivo-affectif qui se répercute dans les comportements, en dresser une liste exhaustive est une tâche exigeante. Contentons-nous de souligner les facteurs essentiels. 


La réaction à un décès et la façon de vivre un deuil par la suite varie entre les individus, ce qui signifie aussi qu’il n’existe pas un modèle plus favorable que d’autres. Le deuil est une expérience personnelle qui change de visage d’un jour à l’autre en fonction de facteurs et de conditions multiples. Le deuil taxe surtout la faculté d’adaptation de l’endeuillé.e. À la suite d’une importante chirurgie, votre homéostasie est mise en péril, menacée : tous vos systèmes physiologiques doivent s’adapter pour assurer la continuité de votre corps, sinon la mort s’ensuivra.


I.2.1 Relation affective entre la personne décédée et l’endeuillé.e.

La relation que l’endeuillé.e entretenait avec la personne décédée donne le ton au deuil. Lorsqu’un conjoint décède après avoir élevé une famille ensemble, le deuil est plus sévère que si les deux étaient des amis d’enfance sans plus. L’historique de la relation entre les deux remonte la surface et ajoute à l’intensité et à la durée du deuil. La relation entre deux individus s’est bâtie d’expériences positives et négatives que l’endeuillé.e repasse en revue après le décès. Il ne faut pas s’étonner que l’endeuillé.e manifeste du regret, de la culpabilité et une tendance à amplifier les moments heureux et malheureux passés ensemble. Cette période du deuil sera moins pénible si l’endeuillé.e souhaite faire la paix avec les hauts et les bas de sa relation avec l’être cher, ce qui pourrait prendre des années. Si l’endeuillé.e est tout à fait conscient.e de la nature de sa relation avec l’être cher, le deuil sera moins pénible. 


I.2.2 La personnalité de l’endeuillé.e

La manière d’aborder au quotidien les événements de la vie courante conditionne la nature du deuil. Que le décès soit prévu ou non, la réaction de l’endeuillé.e ressemblera à sa façon habituelle de réagir à des événements déstabilisants. 


Si l’endeuillé.e a toujours montré de l’indécision devant des situations stressantes, il en manifestera au cours du deuil. Une tendance à la procrastination ne se perd pas aisément. 


I.2.3 Les circonstances du décès

Certes, un décès à la suite d’un suicide entraîne des réactions chez l’endeuillé.e différente que lors d’un décès à la suite d’une longue maladie, et ce n’est pas seulement parce que le suicide était inattendu. Un décès par suicide provoque de la honte qui embarrasse l’endeuillé.e. Dans un tel cas, le soutien de l’entourage devient nécessaire pour éviter que ce décès hypothèque la vie ultérieure de l’endeuillée de manière indue, injuste.  


I.2.4 L’âge de la personne décédée et de l’endeuillé.e

Plus on augmente en âge, plus on se rapproche de notre mort. Donc, il y a une attente logique envers la mortalité. Toute déviation sérieuse à cette attente provoque des émotions intenses. Le décès d’un enfant entraîne chez les parents un deuil qui restera présent le reste de leur vie tellement la douleur est profonde. 


Par ailleurs, un enfant qui perd un membre de sa famille fera preuve de résilience à condition que la situation familiale ne tourne pas au vinaigre. Un enfant qui perd l’un de ses parents verra sa vie prendre une tangente imprévue. Par exemple, il pourra se retrouver dans une famille reconstituée à laquelle il devra s’adapter pour le meilleur et le pire.


I.2.5 La situation sociale-économique de l’endeuillé.e

Une mère qui devient veuve sera vite accaparée par les soucis financiers si elle n’a pas un salaire qui lui évite de s'enfoncer dans les dettes. C’est aussi le cas d’un père qui devient veuf, mais les chances sont qu’il gagne un salaire plus élevé. De toute façon, un.e conjoint.e qui décède emporte avec lui ou avec elle des atouts dont l’autre sera privé. 


La situation sociale-économique de l’endeuillé.e qui perd son conjoint ou sa conjointe aura tôt fait d’ajouter des casse-tête à l’absence déjà insupportable. Il n’est pas surprenant que l’endeuillé.e voit son attitude générale envers la vie changer de façon significative au cours d’un deuil en développant des mécanismes de défense pour se prémunir de toute nouvelle menace à sa sécurité: un.e endeuillé.e averti.e en vaut deux….


I.2.6 La motivation de l’endeuillé.e

Il arrive que l’endeuillé.e soit paralysé.e par le décès d’un être cher. Cet effondrement est à prévoir chez des personnes qui ne bénéficient pas du soutien d’un entourage compréhensif ou parce que ce décès place l’endeuillé.e dans une situation sociale-économique précaire. Il y a aussi des endeuillé.es qui n’arrivent pas à s'acclimater à la solitude. 


Pour certains, rester dans la souffrance de manière prolongée devient une façon de maintenir le lien avec la personne disparue, de la maintenir « en vie ». (30) 


La santé mentale de l’endeuillé.e avant le décès est aussi un facteur qui donnera du fil à retordre. On est aussi en droit de s’attendre que l’endeuillé.e surprenne son entourage en mettant l’épaule à la roue dès le début du deuil contre toute attente. En l’absence de l’autre, l’endeuillé.e trouve parfois des énergies et des forces de réaction pour contenir les inconvénients inévitables.  


Le désir de refaire sa vie et se doter d’une nouvelle identité malgré le chagrin et l’ennui influence énormément la qualité et la durée du deuil. Néanmoins, c’est plus facile à dire qu’à faire ! Pour la plupart des endeuillé.es, ce sera le résultat au fil du temps. Cependant, tous les deuils ne débouchent pas sur une refonte de la personnalité et un changement de vie notoire. 


Tout comme dans le cas d’un divorce, un.e endeuillé.e peut décider de refaire sa vie avec une autre personne et voir sa vie s’améliorer ou s’empirer par la suite. 


Une chose est certaine: l’endeuillé.e a vécu des expériences imprévues qui consolident ses mécanismes de défense et précisent ses projets. Pour d’autres endeuillé.es, peu de changements se produiront à la suite du deuil, à part bien sûr une vie intérieure plus éclairée. 


Le deuil peut être un processus douloureux. Il est important de le reconnaître et d’être bienveillant envers vous-même tandis que vous traversez une période jalonnée d’émotions et d’autres réactions tout à fait normales. Car ce processus vous aide à reprendre goût à la vie. (29). 


La majorité des deuils ne nécessitent pas de l’aide professionnelle pour le neutraliser au point de reprendre une vie dite normale après quelque temps. Nous avons la capacité de gérer un deuil nonobstant sa sévérité. Pour certaines raisons, il est préférable de faire appel à de l’aide professionnelle en plus du soutien de l’entourage. 


Cependant, éviter les émotions difficiles risque de retarder la résolution du deuil : rappelez-vous que l’expression des émotions est la clé de la guérison. (30)


I.2.7 Les croyances religieuses ou autres

La perception qu’on entretient envers un phénomène dépend de nos croyances et de nos connaissances de ce phénomène. Une croyance religieuse n’est pas nécessairement une connaissance d’un phénomène, mais plutôt une perception, une interprétation subjective. Quoi qu'il en soit, la perception de la mort détermine la nature du deuil. Cette perception consiste en une explication, grosso modo. Mourir, c’est une réalité, mais elle nécessite une sorte d’explication face à notre ignorance. La mort existe, mais elle reste le phénomène le plus intriguant chez les humains.


Puisqu’on ne parvient pas à trouver une explication dite scientifique de la mort, nous élaborons une pensée qui comble le vide cognitif à cet égard pour ne pas sombrer dans le défaitisme. Bref, les religions cherchent à donner un sens à la mortalité en assumant aussi qu’une croyance partagée par une communauté est plus réconfortante.  


I.2.8 Éliminer les fausses croyances à propos du deuil

L’endeuillé.e peut croire qu’il doit vivre seul son deuil, qu’il doit tenter d’oublier la personne décédée, que le deuil se vit également pour tous, que le travail lui aidera à oublier, qu’en parler le moins possible facilitera son retour à une vie normale, et autres. La plupart de ces croyances sont fausses et nuisibles parce qu’elles nient les émotions naturelles qui accompagnent un deuil. 


Le deuil est un processus défini et prévisible. Cette façon d’envisager la mort et le deuil n’est pas adéquate, et tenter de suivre ce modèle peut nuire à la personne endeuillée. (29)


L’ordre d’importance de ces facteurs varie d’un.e endeuillé.e à l’autre. Malgré le chaos dans les émotions lors du deuil, il est possible de prévoir si l’endeuillé.e aura tôt ou tard besoin d’aide au-delà de proches sympathiques. Si l’endeuillé.e n’est pas vraiment conscient.e d’émotions fondamentales liées au deuil, il vaut mieux prendre le temps de la convaincre de la nécessité d’une intervention prolongée par un.e intervenant.e du deuil. La technique de base pour aider l’endeuillé.e est d’utiliser de l’écoute, mais de l’écoute active qui consiste à rendre conscient.e l’endeuillé.e de ses émotions diffuses. Cet apprentissage élémentaire est nécessaire pour faire progresser le deuil. Bien des gens possèdent cette habileté naturelle d’écouter et d’amener l’endeuillé.e à mieux identifier et accepter ses émotions. Nul besoin d’un banquet à chaque repas pour se nourrir: une alimentation de base suffit amplement.


I.3 Valider ses émotions

Le deuil déclenche des doutes de toutes sortes, ce qui pourrait bien allonger le deuil et le rendre encore plus chaotique. Le deuil donne l’effet d'être perdu en forêt, d’avoir perdu ses repères et de tourner en rond. Ce n’est pas une impression, mais une émotion réelle. Des émotions s’entremêlent avec des souvenirs et des idées dont on n’ose parler à personne de crainte qu’on croit qu’on est atteint.e d’une maladie mentale. Garder le silence à propos de nos émotions durant le deuil empêche d’évacuer l’anxiété qui les entoure et de les valider auprès de l’entourage. Le deuil n’est pas une faiblesse qui nous dévalorise aux yeux des autres.


Partager vos émotions permet de réaliser vite si ces émotions sont connues et attendues lors d’un deuil. La majorité de votre entourage a déjà fait l’expérience du deuil et comprend votre désarroi. D’ailleurs, ces endeuillé.es vous surprendront simplement par leur écoute active et par la profondeur de leurs commentaires. Ces endeuillé.es savent surtout que vous n’espérez pas de leçon gratuite et condescendante des autres. 


Lors d’un deuil, la réaction universelle consiste à se replier sur soi-même et s’éloigner de l’entourage en espérant escamoter ses effets. La première réaction n’est pas de se vider le cœur, mais plutôt de faire semblant qu’on est une personne forte avec les deux mains sur le volant. Ce silence entraînera de la souffrance insupportable au point que vous finirez par vous confier à une personne de confiance. Ce n’est pas une souffrance inutile que d’attendre longtemps avant de partager ses sentiments.

 

Parler de ses émotions a pour effet de les neutraliser, à tout le moins de baisser leur température…. Les émotions négatives non exprimées ont un effet physiologique surprenant: votre tête va exploser ou vous allez prendre feu littéralement ! C’est normal d’avoir des réactions intenses, et plus elles sont intenses moins on a envie d’en parler. Vous finirez par sortir de ce cercle vicieux…..à bout de force.


À moins que vous soyez convaincu que partager vos émotions est la stratégie qui convient à tous les humains, vous continuerez d’adopter plutôt la stratégie du silence, de l’isolement social et de la discrétion. Il n’y a rien d’anormal à vivre un festival d’émotions lors d’un deuil. Ce qui n’est pas raisonnable, c’est d’ajouter un rang de souffrance par-dessus celle d’avoir perdu un être cher. Curieusement, c’est l’attitude adoptée par la majorité en espérant que ça passera. Depuis quand un mal de dent disparaît de lui-même ?


J. Le deuil: une affaire d’émotions 

Le décès d’un être cher provoque un deuil, une avalanche d’émotions chez son entourage. La nature et l’intensité de ces émotions diffèrent selon les membres de cet entourage pour de multiples raisons. Le déroulement du deuil sera vécu par chacun.e d’une manière personnelle : le processus et l’impact de ce deuil variera aussi selon chaque individu de l’entourage. Bref, le deuil est une sorte de costume spécifique à chaque endeuillé.e. Il y a donc lieu de s’interroger sur la véritable nature des émotions. 


J.1 Distinction entre émotion et sentiment

Exemple. En marchant le long de la rue, vous apercevez un billet de 20$. Vous réagissez avec une émotion de surprise et de joie. Vous ramassez le billet de banque. L’émotion n’est pas seulement une réaction automatique et physiologique, mais aussi un sentiment que vous avez développé envers l’argent, un sentiment associé au bien-être, au bonheur général. Par conséquent, l’émotion n’est pas seulement une réaction, mais aussi une évaluation cognitive déjà établie. Si vous découvrez qu’il s’agit plutôt d’un papier sans valeur, votre réaction va s’estomper du coup parce que vous n’avez pas développé un sentiment envers du papier anodin.


Il y a un vase communicant entre l’émotion et le sentiment, entre l’affectivité et la cognition. Lorsque vous ressentez une émotion envers une personne (affectivité), c’est que avez accordé au préalable une valeur à cette personne (cognition). Vous êtes même capable d’attribuer à une personne ou toute chose un degré de valeur précis sur une échelle de mesure quelconque. Un sentiment peut donc être mesuré. Lorsqu’une personne significative décède, la nature de votre réaction reflète le degré d’affectivité que vous nourrissez envers cette personne.


C’est crucial de bien connaître nos émotions en période de deuil, sinon le deuil va se prolonger et s’intensifier. Nous distinguons aisément quelques-unes de nos émotions. Ça peut suffire au cours de la vie quotidienne, mais c’est insuffisant lors d’un deuil. Jennifer Delgado a identifié 290 émotions positives, négatives et ambivalentes (32) que j’ai traduites à l’aide du traducteur Deep L sur Internet. Cette liste aide grandement à identifier et à distinguer nos émotions et nos sentiments dont plusieurs se présentent lors d’un deuil. 


Émotions positives

Joie - Amour - Affection - Compassion - Générosité - Plaisir - Jubilation - Espoir - Admiration - Liberté -  - Appréciation - Bienveillance - Fierté - Beauté - Soulagement - Empathie - Intégrité - Humilité - Attachement - Approbation - Concentration - Suffisance - Harmonie - Honnêteté - Tempérance - Tolérance - Motivation - Bonheur - Fermeté - Force - Autonomie - Honorabilité - Solidarité - Optimisme - Satisfaction - Sécurité - Compréhension - Sympathie - Affection - Passion - Estime - Enthousiasme - Respect - Paix - Plaisir - Engagement - Ferveur - Charme - Compétition - Plénitude - Omnipotence - Euphorie - Extase - Illusion - Soutien - Contentement - Intérêt - Confiance - Délice - Attention - Dignité - Énergie - Vitalité - Complaisance


Émotions négatives

Tristesse - Mélancolie - Abandon - Ennui - Abus - Besoin - Absence - Démotivation - Peur - Amertume - Angoisse - Agressivité - Tension - Hésitation - Anxiété - Dégoût - Vengeance - Courage - Agacement - Honte - Vide - Ennui - Hostilité - Humiliation - Mépris - Méchanceté - Inquiétude - Entêtement - Terreur - Trahison - Dérangement - Accablement - Pitié - Manipulation - Peur - Phobie - Échec - Fragilité - Frustration - Fureur - Solitude - Imperturbabilité - Paralysie - Rancune - Rage - Suspicion - Défense - Misère - Crainte - Préoccupation - Arrogance - Pessimisme - Incohérence - Chagrin - Paresse - Regret - Haine - Rage - Tromperie - Stress - Désarroi - Poursuite - Vexation - Envie - Offense - Effroi - Tristesse - Stupeur - Impatience - Méfiance - Impuissance - Confusion - Handicap - Incompatibilité - Malentendu - Mésaventure - Outrage - Instabilité - Malheur - Infériorité - Injustice - Destruction - Chagrin - Insatisfaction - Insécurité - Insuffisance - Intolérance - Fureur - Irritation - Jalousie - Culpabilité - Censure - Colère - Opposition - Dépendance - Dépression - Défaite - Découragement - Impuissance - Découragement - Agitation - Mépris - Abattement - Consolation - Misère - Rancœur - Désenchantement - Désespoir - Réticence - Déception - Désolation - Pétrification - Désorientation - Mépris - Famine - Diffamation - Impuissance - Dévalorisation - Douleur - Aversion - Pitié - Paresse - Dysphorie - Exaspération - Regret - Affront - Vision floue - Affliction - Déception


Émotions ambivalentes

Nostalgie - Désir ardent - Luxure - Unité - Attirance - Alarme - Étonnement - Courage - Altération - Fierté - Vulnérabilité - Évaluation - Tentation - Patience - Surprise - Ambivalence - Tendresse - Désir - Timidité - Tranquillité - Repentir - Paranoïa - Perturbation - Frénésie - Confusion - Sérénité - Soumission - Apaisement - Rébellion - Rejet - Appartenance - Engagement - Bonheur - Dégoût - Rancœur - Réserve - Persécution - Obligation - Ostentation - Excitation - Domination - Étrangeté - Non-conformisme - Incrédulité - Résignation - Indifférence - Intrépide - Intrigue - Invasion - Impulsivité - Calme - Consolation - Agitation - Correspondance - Curiosité - Proximité - Inquiétude - Hésitation - Mépris - Réjouissance - Exaltation - Condescendance - Sérénité - Apathie - Inspiration - Sérieux - Transe - Obstination - Dégradation - Perplexité


Dans notre langage quotidien, on ne fait pas toujours la distinction entre une émotion et un sentiment parce qu’on doit se soumettre à une réflexion pour les distinguer. Ex. J’hésite avant de commander des souliers en ligne. Hésiter est une réaction, mais cette émotion est alimentée par un doute qui, à son tour, dépend d’un sentiment bâti au fil de temps à propos des achats en ligne.


Quoi qu’il en soit, pour qu’une émotion ou une réaction soit exprimée ou se manifeste envers un achat spécifique en ligne, on doit nécessairement avoir développé un sentiment envers l’achat en ligne en général. Si j’ai peur à l’approche d’un chien, c’est que j’ai acquis un sentiment de crainte envers les chiens. Ce qui explique que je ne ressens aucune crainte en m’approchant d’un arbre.


L’émotion est surtout vue comme une réaction spontanée, tandis que le sentiment est la même émotion mais réfléchie. Le tableau qui suit aide davantage à établir une distinction entre les deux même si dans notre langage quotidien les deux termes sont interchangés, sont équivalents. 


La distinction entre l’émotion et le sentiment

La durée

L’émotion est une réaction à court terme alors que le sentiment reflète un état cognitif de long terme. Ex. Joie (émotion) et amour (sentiment).

L’intensité

L’émotion, amplifiée souvent par les circonstances, est généralement plus intense que le sentiment. 

L’ordre

L’émotion a besoin d’un sentiment pour exister, donc suit le sentiment. Ex. La peur suit l’insécurité.

Niveau de conscience

On a besoin d’introspection pour relier une réaction à un sentiment. Ex. On doit s’interroger pour expliquer un déni. 

Contrôle

L’émotion est automatique alors que le sentiment requiert de la réflexion. Ex. Je donne à une cause humanitaire sur le coup sans réfléchir à la justification de mon geste.

Rétroaction

Le sentiment est modifié en fonction du résultat des émotions répétées. Ex. Mon sentiment de frustration envers un voisin bruyant diminue après mes réactions initiales.


Selon les circonstances, on ressent une seule émotion ou plusieurs dans un court laps de temps. Ex. Votre auto tombe en panne sur l’autoroute provoquant de l’inquiétude d’y passer la nuit, de la peur de causer un accident, de l’espoir qu’un bon samaritain vienne à votre secours, de l’intrigue d’identifier le problème mécanique, de la crainte d’être en retard à votre rendez-vous, de la colère contre votre auto usagée et autres. Bref, dans ces circonstances,on tire sur tout ce qui bouge. 


Lors d’un deuil, c’est un peu ce qui se passe et là ça dure longtemps, des semaines, des mois, voire des années. Comment peut-il en être autrement ? Perdre un être cher, c’est la deuxième plus grande tragédie de la vie: la première, c’est notre propre mort.


La tendance à vouloir atténuer le chagrin d’un deuil est une émotion, une réaction spontanée. Avec un peu de recul, il est primordial d’identifier le sentiment qui alimente cette émotion d’évitement. D’où vient l’idée que, en retenant nos larmes, la tristesse va s’évanouir d’elle-même ?


Pour plusieurs circonstances et événements, on dirait qu’une émotion prime accompagnée d’autres émotions corollaires, un peu comme un.e chef de bande. Les circonstances dites aggravantes peuvent être un autre deuil vécu, une maladie, un accident, un conflit matrimonial ou de famille, une faillite commerciale, la santé mentale, la perte d’un emploi et une variété d’autres pertes. 


Jennifer Delgado (32) a classé les émotions et les sentiments en trois catégories: les sentiments positifs, négatifs et ambivalents. On ne peut faire autrement que d’apprécier son travail, car il permet aux intervenant.es de sonder auprès de leur client.e un grand nombre d’émotions et de sentiments liés au deuil. Au fil des interventions, il est possible de faire le tour de l’affectivité de leurs client.es endeuillé.es. C’est d’autant plus important que les endeuillé.es vivent des émotions sans être capables parfois de les nommer, de les décrire et d’évaluer à quel point elles alourdissent leur deuil et retardent un retour à une homéostasie, une stabilité émotive. 


J.2 Ma tête va exploser

Lors d’un deuil sévère, il arrive d’avoir l’impression que le niveau d’anxiété et de stress est tellement élevé qu’on craint de perdre la tête carrément. Toutes sortes d’idées nous passent par la tête et toutes sortes d’émotions ajoutent à la confusion et au désordre. On craint même de ne plus jamais revenir à notre état normal où les émotions ne semblent pas avoir d’impact sur la raison. On évite surtout d’en parler de peur d’ajouter de la honte et de la culpabilité à notre état psychique déjà hypothéqué. 


Pourtant, face à cette confusion, la décision la plus adéquate est justement de demander conseil à une personne qu’on juge fiable ou qui a déjà vécu un deuil important. Qui prend des décisions rationnelles durant une période de confusion ?


David Solá, psychologue et auteur du livre Du chaos émotionnel à la paix intérieure, a écrit que dans le chaos émotionnel, on retrouve une contradiction entre le monde rationnel et émotionnel qui nous fait perdre le contrôle et guide notre comportement à travers des impulsions. C’est important de savoir que de telles confusions se produisent lors d’un deuil : elles sont alimentées par la peur, voire plusieurs peurs qui étaient étrangères jusque-là. Par contre, il y a des peurs réelles qu’on ne doit pas ignorer indéfiniment. Dans plusieurs cas, cet état de désordre cognitif et émotif est intense parce qu’il s’agit d’une première expérience. 


Le deuil peut nous faire croire que nous avons des faiblesses cachées et c’est de là que vient cette impression de désordre et de perte de contrôle. Une raison de plus pour écouter des personnes de votre entourage qui ont perdu un être cher avant vous. Les humains vivent des émotions similaires dans des conditions similaires.

 

Si vous n’arrivez pas à reprendre une vie dite normale après un deuil de plusieurs mois, demandez-vous si vous avez tenté depuis le début de laisser le temps passé sans intervenir en croyant que le temps finirait par remettre votre vie sur ses rails, spontanément. Nous avons tous et toutes les ressources nécessaires pour se guérir d’un deuil, mais à condition de prendre des dispositions de base pour identifier, décrire et analyser nos émotions, sans compter qu’on doit gérer une nouvelle situation sociale depuis le début du deuil. Cette situation sociale ajoute d’autres émotions et préoccupations qui grugent les énergies vitales. 


K. Gérer ses émotions

Comme le deuil est une période émotive chaotique, il importe de trouver les moyens efficaces pour remettre en ordre sa santé émotive. En même temps qu’on adopte des stratégies positives, on élimine du coup des stratégies négatives qui plombent le progrès du deuil. Il ne s’agit pas de faire semblant que les journées sont moins pénibles et plus harmonieuses : ces changements d’attitude et de comportement doivent être désirés si on souhaite qu’ils persistent. 


Dans une section précédente, quatre stratégies essentielles sont énumérées sous l’appellation I.D.E.M. Nous les répétons et nous ajoutons d’autres stratégies qui peuvent s’avérer efficaces. 


K.1 Identifier l’émotion 

Nommer l’émotion. S’agit-elle de la colère, de l'amitié, de la vengeance, de la frustration ou autres ? Reconnaître et nommer une émotion agit comme modulateur de cette émotion. (32)


K.2 Définir l’émotion

Définir ou décrire l’émotion, ou à tout le moins décrire ses manifestations ou les comportements qu’elle engendre. Isolement social: Je n’ai plus envie de voir personne.


K.3 Expliquer l’émotion

C’est le nœud de l’exercice. Il s’agit d’expliquer pourquoi je ressens cette émotion. 


K.4 Mesurer l’émotion

Quelle est l’intensité de cette émotion ? Son influence sur mon deuil ? 


K.5 Se souvenir de manifestations de sang-froid

Se rappeler de situations vécues où on a montré du cran, du courage, du sang-froid et une bonne capacité à subir du stress.


K.6 Réévaluation d’une situation vécue pour en dégager des aspects positifs

Le deuil rend notre mémoire sélective en mettant l’accent sur des émotions négatives et sur des comportements dont nous ne sommes pas fiers. Cette stratégie vise à revisiter ces événements du passé pour découvrir des aspects plus reluisants.


K.7 Identifier des situations affectives où vous démontrez du progrès dans le temps

En quoi me suis-je amélioré au fil des années ? Le deuil n’efface pas une vie de progrès. L’état émotif au cours du deuil est tel qu’on a la conviction que le compteur a été remis à zéro et qu’on est devenu maladroit pour exprimer nos émotions. Si la joie éclaire nos succès, le chagrin éclaire nos échecs. 


K.8 Faire des prédictions réalistes quant à nos succès

En souhaitant vivre des succès dans un avenir rapproché, il n’y a qu’un pas à faire pour convertir ces prédictions en objectifs à poursuivre.


K.9 Savourer chaque jour les petits bonheurs

Les petits bonheurs quotidiens n’arrivent pas par hasard, mais sont des résultats à la suite de dispositions conscientes prises pour y arriver. Encore faut-il, chaque jour, les identifier et les accumuler en les notant noir sur blanc. 


K.10 Identifier les émotions négatives qui nous hantent de moins en moins

Si les émotions positives sont plus fréquentes, il est fort à parier que les émotions négatives diminuent. Il importe de les comptabiliser chaque jour. Certes, cette disposition est facile à observer lorsqu’un.e intervenant.e suit l’endeuillé.e avec rigueur et assiduité.


Lorsqu’on applique l’approche I.D.E.M., il est convenu qu’il y aura un progrès dans la prise de conscience de son état émotif parce qu’on développera spontanément des stratégies en vue de reprendre une vie dite normale. Il n’est pas nécessaire d’atteindre rapidement un état de bonheur après quelques séances d’intervention, mais plutôt de répertorier les moindres améliorations. La rétroaction permet de consolider l’apprentissage, le progrès: c’est le principal outil dans le coffre de l’intervenant.e.


L. L’émotion est une interprétation

L’émotion est une réaction qui suit l’interprétation que nous faisons d’une situation. L’émotion est une sorte de mécanisme d'alerte, de défense qui est tellement automatique qu’on croit qu’il ne résulte d’aucun apprentissage de notre part. Ce n’est pas parce qu’on réagit instantanément que l’émotion ne dépend pas de notre cognition, de notre évaluation subjective. L’émotion se trouve sur le même continuum que le sentiment: les deux dépendent d’une évaluation subjective. Même si l’émotion arrive en moins d’une seconde, ça ne signifie pas qu’il n’y a pas eu d’interprétation, de cognition. Par exemple, vous entendez un bruit fort à l’extérieur de votre maison. Si vous demeurez tout près d’un ferrailleur, vous ne réagissez pas parce qu’un tel bruit est fréquent. Mais, une personne en visite chez ce résident sursautera et s’inquiètera ne sachant rien de la provenance de ce bruit. 


Chaque jour nous interprétons de nombreuses situations en fonction de plusieurs facteurs, surtout en fonction de notre connaissance de la situation. Pour les situations sérieuses telles que le deuil, un éventail d’émotions est affecté. Sur le coup, on ne réalise pas que, sous-jacente à chacune de ces émotions, on retrouve une cognition, une connaissance.


C’est la relation que nous avons établie avec l’être cher qui fait bouger l’aiguille d’intensité de nos émotions et leur durée. La recherche dans ce domaine démontre qu’une stratégie fort efficace pour baisser la température de l’émotion consiste à réévaluer cette relation avec la personne décédée. Il ne s’agit pas de tenter de minimiser cette relation, mais simplement de l’analyser. Au terme de cette analyse, autant les émotions positives que négatives en bénéficieront. En identifiant et en décrivant les émotions positives et négatives que l’endeuillé.e a vécues avec la personne décédée, on en sort avec une vision plus juste et réaliste de la relation.


Prenons l’exemple d’un endeuillé paralysé par un chagrin profond et sincère suite au décès de sa conjointe. En identifiant une par une ses émotions, on constate que son chagrin est plombé par de la culpabilité et des conflits mal gérés avec sa conjointe. Un retour sur ces conflits peut révéler que ce sont pour la plupart des mésententes de la vie courante quasi universelles chez les couples. La stratégie va même contribuer à minimiser l’émotion de regret si l’endeuillé réalise que sa conjointe n’est jamais sortie de ces conflits avec de la rancune.

 

Cette stratégie de réévaluation des émotions et des croyances s'inscrit dans une perspective large d’une thérapie de la réalité. Voici quelques exemples de réévaluation d’une croyance et de l’émotion qui en découle.


Exemple 1. Le conjoint dont la conjointe est décédée regrette de ne pas avoir fait autant de voyages que sa conjointe le souhaitait. Si c’était à recommencer, il serait plus attentif à ses demandes. En bout de ligne, il réalise que leur budget ne permettait pas plus de dépenses de cette nature. Autrement dit, sa conjointe a raté quelques voyages, mais lui a évité des dettes inutiles.


Exemple 2. La conjointe dont le conjoint est décédé n’aimait pas passer une soirée en compagnie des collègues de travail de son conjoint. Il s’en plaignait à chaque occasion, mais elle n'en tenait pas compte. Un examen de conscience l’amène à avouer qu’il était toujours réticent à rencontrer certains membres de la famille de sa conjointe.


Exemple 3. Il rouspétait lorsque son épouse décédée s’achetait de nouveaux vêtements, tandis que lui achetait tous les outils dont il avait besoin pour son atelier sans se préoccuper si leur budget le permettait. Maintenant, son deuil perdure surtout à cause d’un sentiment de culpabilité.


Exemple 4. La façon d’élever leurs enfants a souvent été le théâtre de conflits. Après analyse, elle réalise qu’elle avait toujours peur de perdre le contrôle sur les décisions à leur sujet. Cependant, elle constate qu’elle devait prendre la majorité des décisions puisque son mari n’était pas présent à cause de son travail à l’extérieur du foyer. Si le chagrin accompagne le deuil, la culpabilité n’est jamais loin derrière. Finalement, elle n’a pas à se sentir coupable.


M. Le chaos émotionnel

Le deuil peut provoquer le chaos émotionnel qui se caractérise surtout par une volée d’émotions ambivalentes qui laissent croire qu’on a perdu le contrôle de son émotivité. Cet état pourrait ressembler à une foule qui se bouscule dans l’entrée d’un magasin qui offre des spéciaux incroyables. C’est un événement extérieur, un décès, qui déclenche le chaos, ce qui est moins inquiétant pour l’endeuillé.e.


Cette réaction n’est pas automatique et involontaire. Le décès d’un être cher est un événement tragique et lourd de conséquences la plupart du temps. Le chagrin est une émotion puissante et bouleversante, et l’endeuillé.e a vite compris que ce décès changera les prochaines années de sa vie contre son gré. Les répercussions d’un deuil s’étendent sur plusieurs années et exigent une souplesse d’adaptation de l’entourage également.


Il faut même s’habituer à vivre avec des émotions ambivalentes, celles qu’on perçoit à la fois comme positives et négatives. Ton père est décédé, ce qui te chagrine, mais, en même temps, tu es furieux de la façon qu’il a rédigé son testament. Cette ambivalence ne perdra pas de son intensité avec le temps, à moins qu’une explication surprise vienne changer la donne. 


Tous les problèmes entraînés par le deuil ne sont pas tous résolus. En fait, même en analysant un décès sous divers angles, le deuil laisse une cicatrice permanente.  


M.1 Une impression de perte de contrôle

Le décès d’un être cher active nos émotions de toutes sortes avec une telle intensité qu’on a l’impression d’en avoir perdu le contrôle. Cette période d’incertitude s’ajoute au chagrin, mais on va bientôt reprendre le contrôle. Notre équilibre psychique peut faiblir momentanément, mais il ne va pas s’effondrer et se briser en mille morceaux. Ce chaos temporaire reste sous notre contrôle et nous savons fort bien où se situent nos limites. Notre équilibre émotif est maintenu par une force telle que, même si nos émotions semblent aller dans tous les sens au hasard, nous ne les laisserons pas s’éloigner au-delà d’un point de non retour. S’effondrer en larmes à la nouvelle du décès d’un être cher ne signifie pas qu’il s’agit d’un effondrement de notre équilibre émotif.


Certes, il faut porter une attention particulière aux réactions physiologiques et à sa santé physique durant cette période de chaos émotif, sans quoi le désordre physiologique sera pire que le désordre psychologique. 


Le deuil n’est pas le seul événement qui produit un chaos émotif. De nombreux événements menacent notre intégrité tout au long de notre vie, tous à des degrés différents. Sans le planifier, nous acquérons de l’expérience d’une perte à l’autre. Tomber en panne au beau milieu d’un trafic dense est insécurisant, mais on trouve une solution pour se sortir de ce pétrin. Une voiture en panne est récupérable, mais pas une personne décédée: c’est ce qui rend la perte d’une personne si dramatique et bouleversante. Il n’est pas rare d’entendre un.e endeuillé.e dire qu’elle ou qu’il aurait préféré mourir à la place de la personne décédée. Il s’agit plutôt d’une expression pour communiquer la sévérité de notre douleur. Il ne faut pas lésiner sur les moyens pour atténuer ce chagrin.


M.2 Le chaos: un état plutôt qu’une émotion

Le chaos ressenti au début du deuil est tellement intense qu’on croit qu’il s’agit d’une émotion comme la tristesse et la colère. Il s’agit plutôt d’un état émotif qui amène de l’anxiété, de la confusion dans les idées, des réactions physiologiques inhabituelles et un sentiment de ne plus être soi-même: on est balloté dans tous les sens. 


Le deuil n’est pas un signe de faiblesse inhérente à la personnalité de l’endeuillé.e. Le deuil n’est inquiétant que lorsqu’il dure longtemps et qu’il ne cesse de multiplier des conséquences néfastes et écrasantes. Cependant, il semble que la majorité des endeuillé.es finissent par se remettre d’un deuil. 


M.3 Des stratégies pour répondre à l’urgence 

du chaos émotionnel

M.3.1 Trouver une oreille attentive.

Le chaos émotionnel engendre de l’insécurité qu’on doit atténuer par une mesure qui sécurise, comme l’oreille attentive d’un.e ami.e qui ne sautera pas sur l’occasion pour vous poivrer de conseils. Les solutions des autres sont comme les souliers des autres….


Après un décès, il peut être difficile de gérer les émotions intenses qui surviennent. Il est important de reconnaître et d’accepter ces réactions émotionnelles, telles que la tristesse, la colère et le choc. Trouver un soutien social, exprimer ses sentiments et chercher des moyens de se remettre sont des étapes cruciales dans le processus de guérison. (34)


M.3.2 L’équilibre émotif revient de lui-même le plus souvent.

Au milieu du chaos, personne ne veut croire que le calme reviendra après la tempête. Nous avons tous tenté de noyer un ballon dans un lac ou dans une piscine. À un mètre sous l’eau, une fois lâché, le ballon remonte vers la surface où la pression est plus faible. La même expérience à 20 mètres où la pression est encore plus forte, le ballon va remonter encore plus vite, aussi vite que l’inertie va lui permettre. Le ballon remonte jusqu’à un point neutre, en équilibre entre l’eau et l’atmosphère, deux environnements de pression. Le chaos dans les émotions tend à revenir à un point d’équilibre. Naturellement, nous recherchons l’équilibre émotionnel où la dépense d’énergie est la plus faible parce que le stress est minimal. Une force naturelle empêche l’équilibre psychique de s’éclater.


Si vous pleurez le décès de votre conjoint pendant des semaines, ce n’est pas parce que vous avez perdu le contrôle de vos émotions. Vous pleurez encore et encore parce que vous en avez besoin et que vous savez mieux que personne d’autre qu’il s’agit du meilleur remède pour soigner votre chagrin. Personne ne meurt à trop pleurer, mais votre coeur peut exploser à trop se retenir…


M.3.3 Ici et maintenant

Une stratégie qu’on a du mérite à exercer, c’est de vivre l’instant présent : plus facile à dire qu’à faire. Ne tentez pas d’appliquer cette stratégie au début du deuil. Sans vous en rendre compte, surtout si vous devez vous remettre au travail peu de temps après le décès de l’être cher, vous en viendrez vite à appliquer cette stratégie dite du ici et maintenant


Tôt ou tard, vous devrez prendre votre courage à deux mains et revenir à votre routine quotidienne qui vous mènera vers une diminution importante du deuil et de ses conséquences. En bout de ligne, l’objectif consiste justement à reprendre une vie aussi normale que possible. 


Cette stratégie dite ici et maintenant s’applique par la force des choses lorsqu’on doit se remettre au travail le plus tôt possible. Le travail lui-même exige qu’on délaisse le chagrin pour être attentif aux exigences du travail. Elle s’avère nécessaire parce que nous savons d’ores-et-déjà qu’il faudra refaire sa vie avec un être cher en moins. Mais l’efficacité de cette stratégie ne peut se vérifier qu’après plusieurs mois. Le retour à son travail quotidien offre l’avantage de vivre des événements et des émotions opposées au deuil. 


M.3.4 Pourchasser un lièvre à la fois

Lorsqu’on ne sait plus où donner de la tête, il vaut mieux cibler une seule émotion qu’on tentera de comprendre ce qui diminuera sûrement son intensité. Par exemple, on peut être en colère contre le personnel de l’hôpital dont le manque de rigueur en prodiguant des soins à votre conjoint a pu précipiter son décès. Si vous n’en démordez pas après plusieurs jours, votre deuil va s’envenimer. C’est urgent de s’attaquer à cette préoccupation le plus vite possible,tout en évitant des combats sur plusieurs fronts simultanément.


Au début du deuil, ce ne sont pas les incertitudes et les préoccupations qui manquent: l’une n’attend pas l’autre. Mais, lorsque l’une d’elles devient absorbante et envahissante, quitte à demander de l’aide, il faut appliquer une médecine de cheval…


M.3.5 De la résilience

La résilience n’arrive pas comme l’autobus arrive à l’abribus. On doit prendre des dispositions pour en arriver là. En fait, la résilience est considérée comme une stratégie, alors qu’elle est plutôt une disposition obtenue au terme d’un processus qui a exigé de la motivation, une planification, des efforts, de l’apprentissage, du temps et bien des essais et erreurs.


La résilience est fort efficace comme stratégie lors d’un chaos émotionnel, mais encore faut-il l’avoir déjà acquise et rodée au quart de tour.


M.3.6 Un nouveau moi

Notre corps se reproduit de la naissance à la mort. On naît pour ainsi dire plusieurs fois au cours de notre vie. Nul besoin de lire une encyclopédie au complet pour réaliser que notre personnalité change aussi plusieurs fois au cours de la vie. Les traumatismes, les profonds chagrins, les joies indescriptibles, les accidents imprévus, les rencontres enrichissantes forcent ces métamorphoses de notre personnalité. 


Il n’y a pas loin à parcourir pour prétendre que le deuil peut devenir un enrichissement pour l’endeuillé.e, ce qui à prime abord semble incongru, voire choquant. C’est peut-être une entourloupette de la dissonance cognitive qui cherche à tirer quelques gouttes d’eau d’une source asséchée. Nos personnalités évoluent sous l’effet d’événements bienfaisants, mais aussi de revers douloureux. 


M.3.7 Un tsunami émotionnel

Il arrive qu’un choc émotionnel tel que le décès d’un proche ne se résorbe pas et, bien au contraire, glisse vers un état de dépression. Ce qui semblait un chagrin justifié a dégénéré en dépression qui empêche carrément l’endeuillé.e de mener une vie normale. L’endeuillé.e doit faire appel à une équipe de professionnels pour se remettre sur pied éventuellement.


Vite, on devra identifier les causes de cet effondrement de l’endeuillé.e. 


Lorsqu’un individu vit un traumatisme, il se sent écrasé sous une vague d’émotions induites par l’incapacité pour le cerveau (amygdale cérébrale) de comprendre et de réagir à ce stress intense. Pour répondre au traumatisme, l’organisme met en place des mécanismes de protection, provoquant un état de choc. (34). 

La dépression est une sorte de mécanisme de défense auquel l’endeuillé.e fait appel pour assurer sa survie. La dépression est un signe de sévérité du traumatisme. L’état de santé mentale de l’endeuillé.e exige des soins urgents et professionnels : l’alerte a été donnée. C’est difficile de savoir quand la dépression se cache derrière un chagrin qui se prolonge. En examinant le mode de vie de l’endeuillé.e des mois après le décès de l’être cher, il est parfois possible de constater que le deuil est stagnant. L’endeuillé.e qui croit que son deuil va se résorber de lui-même risque de glisser sans le vouloir dans une dépression. On sous-estime l’effet d’un choc émotionnel sur notre équilibre psychique.


Le choc émotionnel consécutif à la perte d’un proche engendre des modifications significatives dans le fonctionnement cérébral. Ces changements neurobiologiques peuvent expliquer en partie les symptômes de la dépression liée au deuil et influencent la manière dont nous traitons les informations émotionnelles et gérons le stress. (35)


N. Émotions et sentiments

N.1 Distinction entre émotions et sentiments

Dans le langage populaire, on ne fait pas de distinction entre une émotion et un sentiment, mais il y en a une. L’émotion est une réaction rapide, automatique, alors que le sentiment est une émotion pour ainsi dire plus réfléchie, qui se bâtie avec l’expérience. 


Il y a une façon de différencier les émotions des sentiments: on parle ainsi des émotions primaires et des émotions secondaires. Quelques émotions primaires sont la peur, la colère, la joie, la tristesse et la surprise. Ce sont des réactions bien établies qui requièrent peu de réflexion lorsque la situation l’exige. Aussi, on les retrouve chez la plupart des peuples de la Terre. Plusieurs de ces émotions primaires nous protègent des dangers qui nous guettent. 


Les émotions secondaires sont des extensions des émotions primaires, mais requièrent une plus longue et profonde interprétation de la situation. Elles exigent plus d’expérience, de réflexion et d’analyse pour être formulées et exécutées plus rapidement à la longue: on les identifie comme la culpabilité, l’embarras, le déni, la jalousie, l’humilité, la résignation et d’innombrables autres. La majorité de nos émotions sont le résultat d’un apprentissage.


Si les émotions primaires se développent rapidement en bas âge, il est probable que leur rôle est de maintenir une homéostasie psychique.


Les émotions primaires, telles que la peur, la colère, le bonheur et la tristesse, sont nos premières réactions instinctives à des stimuli et sont généralement rapides et automatiques. Ces émotions sont fondamentales et souvent communes à différentes cultures. Les émotions secondaires, en revanche, sont plus complexes et découlent de notre interprétation et de notre évaluation des situations. Elles sont influencées par nos pensées, nos expériences et notre contexte social, et donnent lieu à des sentiments tels que la fierté, la culpabilité, la jalousie et la gêne. (37)  


N.2 Deux caractéristiques des émotions: valeur et intensité

Il y a deux caractéristiques des émotions et des sentiments qui ont un impact déterminant dans notre vie quotidienne et lors d’un deuil: la valeur d’une émotion (positive ou négative) et son intensité (faible ou intense).


Lors d’un deuil, certaines émotions se manifestent davantage que d’autres telles que le chagrin, la colère, l’anxiété, l’indécision, la confusion et plusieurs autres. D’abord, ces émotions sont majoritairement négatives plutôt que positives. Ensuite, elles se manifestent avec intensité plutôt qu’avec faiblesse. Ces deux caractéristiques font du deuil une expérience douloureuse et c’est encore plus vrai lorsque l’on pleure le décès d’un être cher tel qu’un.e conjoint.e, d’un.e enfant ou d’un parent proche. 


N.3 Les émotions floues

Pour la plupart des situations courantes que nous rencontrons, nous identifions rapidement les émotions qui s’y rattachent. Qu’on soit à l’épicerie, sur une patinoire, dans le trafic ou en regardant un film, il y a des émotions communes à ces situations, mais aussi des émotions spécifiques. Dans le trafic d’une grande ville, on a de l’inquiétude, du stress et des sueurs froides. La majorité de ces émotions sont temporaires et n’ont pas de conséquences tragiques à long terme. 


Le deuil étant une situation rare, intense et engageante, il y a des émotions qui monopolisent notre pensée sans qu’on soit capable de les nommer. Pour cette raison, en appendice, on trouve de nombreuses émotions qui aident à sortir de cet état de confusion et d’ignorance. Une fois que les émotions sont mieux cernées et définies, elles ne s'évanouissent pas pour autant. Cependant, il ne reste qu’à les analyser en profondeur, ce qui aura comme effet d’en diminuer l’intensité. 


Par exemple, suite au décès de votre conjoint.e, vous faites de l’insomnie et du stress sans trop savoir qu’est-ce qui vous ronge en plus du chagrin, de la solitude et de l’ennui. Si vous réalisez qu’il s’agit de l’émotion de regret, il vous reste à repasser les situations qui empoisonnent votre vie. La distance entre le regret et la culpabilité est plutôt courte, deux sentiments qui contaminent davantage un deuil. L’endeuillé.e devra revenir sur ces émotions pour éliminer de son vocabulaire des phrases comme J’aurais donc dû…, et Si c’était à recommencer…


Identifier et analyser ses émotions lors d’un deuil ne signifie pas que des émotions négatives vont devenir positives, mais cet exercice va en diminuer l’intensité. Bref, devenir conscient de ses émotions diminue la pression dans la marmite. Ce faisant, le deuil monopolise moins la pensée consciente qui est nécessaire pour vivre le quotidien. 


N.4 Aux grands maux, un petit moyen

Votre vie est tellement chaotique et chamboulée que vous ne voyez plus de lumière au bout du tunnel. Pire. Vous croyez qu’il faudra des moyens extraordinaires pour vous remettre sur les rails, des moyens tellement colossaux que vous préférez ne rien tenter. Le découragement se cache dans les valises du deuil. Si on vous propose de tenter une stratégie simple sans artifices, vous tournerez les talons sans hésiter.


Se remettre d’un deuil consiste à en parler, à en jaser, à en discuter, à en bavarder, avant tout. Le reste suivra….